La dernière image ? La scène emblématique de la douche qui désamorce les rouages du genre, ou celle de la petite qui essaye d'échapper en vain aux griffes de l'"ogre" reprenant les codes familiers du conte...
Les grands films de huis-clos qui m'ont marqué reviennent facilement. La Corde et son couple homosexuel à l'honneur déjà, Evil Dead et sa cabane dans les bois, Les Oiseaux et sa maison calfeutrée, La nuit des morts vivants et sa cave irrespirable.
S'agissant de M Night Shymalan, je me rappelle évidemment de Signs. Mais je retiens surtout Le Sixième sens, j'y reviendrai.
Dans l'ensemble et pour commencer, je trouve difficile de critiquer un film qui contient plus de cinéma que tout se qui sort sur les écrans depuis belle lurette...
Côté mise en scène, science du hors champ, travail sur l'image, maîtrise formelle, inventivité visuelle, sens du rythme, infernal, nerveux, étouffant, alors que le réalisateur s'entête à contourner tous les "attendus" de ce genre de film, le revisitant de fond en comble en cela, le révolutionnant pour ainsi dire. Des personnages menaçants forcent l'entrée d'une maison, c'est pour mieux entourer les 3 héros de toute leur prévenance (pansement, conseil, pédagogie). Un sacrifice doit advenir c'est l'un des 4 qui trinque... Les codes semblent inversés et l'égoïsme supposé de la petite famille prend une dimension de plus en plus criante à mesure que le monde autour part en fumée. En cela, le film a déjà quelque chose de singulier à nous donner. Et tout don est par définition précieux. A chérir.
Côté acteurs, brochette franchement fantastique avec une mention spéciale pour Jonathan Groff cet acteur (déjà vu dans Mindhunter) qui va finir par y laisser sa vie en sacrifice :"Donne-moi la mort et je vous laisse la vie !"
Mais je veux en venir au plus important. La thèse du film qui ferait la part belle aux illuminés de tout poil, nous expliquant que la fin du monde qui est là donnerait raison à ces "fous de Dieu" auxquels il manquerait une case ou deux... Je n'ai pas compris le film comme cela.
Reprenons les choses depuis leur commencement... La scène d'introduction. On est comme dans un rêve, au ralenti, dans les hautes herbes... Des gros plans, une lumière verticale mais diffuse. Quelque chose déjà nous dit que la réalité n'est pas forcément de ce monde.
Avez-vous par ailleurs entendu parler de cette cabane vers laquelle on retourne en fermant les yeux lorsqu'il faut se retrouver ? S'échapper du réel ? Nous y voilà... La maison dans la forêt c’est le lieu où l’on se retrouve en pensée… Fermez les yeux et retournez dans cet endroit où vous vous sentez bien… La maison, le lac, les champs de fleurs, les sous-bois odorants, la route qui y mène est réchauffée par les rayons du soleil, on y chante à tue-tête. Mais les sauterelles du printemps ? Prisonnières d’une paroi de verre… En apparence elles sont en prise avec l’extérieur… Pourtant… Elles sont bien prisonnières du verre de ces bouteilles… Comme le spectateur que je suis.
Je parlais en préambule du Sixième sens (alors qu'on évoque souvent Signs comme référence principale, ce qui se justifie aussi) parce que le point de départ c'est évidemment l'agression (fatale) du psychologue divinement incarné par Bruce Willis. Ici il est également question d'une agression extrême dans le passé des deux personnages principaux ? Lequel d'ailleurs ? Eric ? Andrew ? Sont-ils interchangeables ? Le personnage victime des coups dans le passé survit-il ? En a-t-on la preuve ? La certitude ? Rien n'est moins sûr... Si l'on repense au Sixième sens, le parallèle est éloquent, amène à s'interroger sur ce qui nous est donné à voir de ce monde étriqué, de ces personnages sortis de nulle part.
Alors quoi ? Une agression qui passe par des coups répétés sur le haut du crâne ? Comme dans le "présent", le personnage incarné par Eric lorsqu'il a ses difficultés à affronter la lumière vive ? Des séquelles déjà de coups violents reçus sur la tête... L'histoire se répèterait-elle ? Et pourquoi donc ces 4 cavaliers de l'apocalypse bienveillants se sacrifieraient-ils via des coups de boutoir assénés au même endroit, sur la tête, tout en haut ? Et quel heureux hasard ferait que l'un des illuminés soit justement l'agresseur surgi d'un passé traumatisant ? Une coïncidence ?
Quant à ces instruments de torture ne sont-ils dès lors pas une vision déformée de l'attirail du dentiste ou du chirurgien qui trifouille la matière grise de l'homme plongé dans un coma ? Tout ce qui permet d'opérer et d'ouvrir la boîte crânienne…
Les métiers des cavaliers (évoqués par chacun avec empathie) peuvent aussi évoquer le personnel intervenant autour d'un malade cloué sur un lit dans un coma profond depuis 13 longues années... Une femme qui nourrit (aide qui apporte les repas), une autre qui soigne (infirmière qui prodigue les soins), le troisième, Leonard, qui peut incarner le docteur référent, le professeur… Celui qui peut décider de débrancher le patient avec l'accord du conjoint… Celui qui annonce à l'enfant qu'il "n'aime pas avoir à annoncer ce qui va arriver"... Discours typique du docteur annonçant à la famille une décision importante du corps médical. Je pourrais pousser le bouchon un peu plus loin (c'est mon côté obsessionnel) en rappelant que Léonard a l Envers donne "Dr Anoel". Doctor en abréviation. On extrait aussi aisément de son patronyme les lettres formant "Noah/Noé" le guide d'avant l'apocalypse celui qui sélectionne et sauve des espèces, des vies,... La métaphore filée du médecin ?Mais oui ! En filigrane ce dernier peut comparer ses patients à des élèves dont il aurait la responsabilité... "Certains ont réussi nous dit-il , d'autres on échoué"... Entre les lignes certains sont en rémission d'autres n'ont pas survécu...
Andrew rappelle à Éric qu'il n'a plus les idées claires. Qu'il est fragilisé, qu'il mélange des choses. Qu'il est manipulé. Au point qu'Eric puisse imaginer par exemple Andrew victime dO'Bannon dans le passé a sa place ? Possible. Il se projette ainsi en lui pour mieux revivre la scène comme spectateur. Faisant face à Andrew. Au restaurant. Comme lorsque Leonard les installe ainsi dans la cabane. Face à face... Eric est naturellement ce patient possiblement cloué sur un lit comme on l'est sur une chaise et ligoté... Immobilisé ? L'engourdissement des jambes d'Andrew plus tard lorsqu'il se libère de ses liens fait écho à ce souvenir diffus d'un homme paralysé qui retrouverait brièvement les sensations vives de l'usage de ses jambes. Les distances sont d'ailleurs toutes courtes ici, l'univers clos. On ne voit jamais l'intérieur des chambres. On ne peut que deviner des choses, comme depuis un lit d'hôpital où le seul univers est sa petite chambre aux draps blancs immaculés. Ceux qu'on glisse sur sa tête avant de tirer sa révérence. Logique un malade ne connait vraiment de sa chambre que le lit et la salle de bains (on la découvre bien ici dans une scène emblématique).
Evidemment dès lors ce qui revient en flashes back ce sont uniquement les moments les plus marquants de sa vie dans le positif (rencontre entre eux, avec leur fille adoptive) comme dans le négatif (Agression dans le café, premier repas avec les parents de l’un d’eux et la cruelle désillusion qui en découle).
Il faudrait nous dit-on sacrifier quelqu'un dant le "réel" du film... Or il est rapidement clair que le seul personnage autour duquel le destin du film se joue, celui dont il faudra faire le deuil pour les deux survivants (Wen et Andrew) c'est Éric et personne d'autre... C'est lui qui est assommé au début, qui a des migraines, qui souffre dans la lumière qui pénètre de l'extérieur, qui comprend progressivement quelque chose d'essentiel... Que c'est en partant qu'il permettra à ceux qui lui survivent de reprendre le cours d'une vie plus normale. Une vie nouvelle. New (Wen a l envers, trois lettres bien présentes aussi dans le prénom Andrew),
On pourrait même penser que le revolver a vraiment été acheté par Andrew dans le passé pour assouvir une vengeance contre l'auteur du crime (O'Bannon) mais que symboliquement en ne l'utilisant finalement pas contre autrui, en ne me retournant que que contre sa famille, contre Eric (on ne voit jamais le moment du coup de feu), Andrew s'est libéré métaphoriquement de sa rage, de sa haine, de sa soif de vengeance, pour mieux pouvoir tourner la page.
Le film n'est qu'un long apprentissage du deuil. Treize ans de coma peut-être et la décision prise ce fameux jour de débrancher Eric ? Peu importe, ce qui marque c'est l'intuition qu'Eric le comprend subtilement par étapes malgré la résistance d'Andrew qui lui répète "tu n'as pas les idées claires, tu as reçu un choc, ne les écoute pas, reste avec nous". C'est Eric qui prenant conscience d'être le frein à la marche de "leur monde" pousse finalement Andrew à le "tuer", le débrancher, Andrew qui symboliquement accepte de lui dire au revoir, Eric acceptant finalement son sort. Partir, se faire oublier, pour les laisser vivre.
La dernière scène est bien celle d'une famille recomposée : Andrew et Wen au volant d'une voiture, recréant la scène de la chanson à trois, du bonheur arraché qu'on est prêt à revivre à deux (tentative répétée de refaire partir la musique du poste comme à la grande époque), qui plus est dans la voiture du responsable de leur malheur (O'Bannon), façon de laisser comprendre que le pardon est accordé, que le deuil est assumé, que la vie va pouvoir reprendre, que le monde en somme est sauvé.
Un bien beau film.