Autant ‘Grave’ m’avait instantanément conquis, autant c’est un peu plus compliqué que ça avec ‘Titane’, même si on ne peut vraiment pas dire que Julia Ducournau aurait échoué à confirmer son extraordinaire talent formel et sa singularité au sein du paysage cinématographique français. Que ‘Titane’ ait choqué les festivaliers de Cannes, qu’il ait choqué (certainement encore plus) ceux qui n’ont aucune pratique soutenue du cinéma de genre et n’y consentent ici que parce que le phénomène est emballé dans une palme d’or et un drame d’auteur, je le comprends parfaitement. Il est vrai que Julia Ducournau, dont les influences vont plus que jamais puiser aux sources du giallo et de la body-horror, sait y faire en matière de frontalité et, plutôt que les grandes lignes volontiers déviantes du scénario, préfère les petits moments qui font sortir son film des rails des pratiques communément admises dans le cinéma de bon ton, par exemple une fracture auto-infligée de la cloison nasale, ou des pertes vaginales constituées de cambouis. On tient peut-être là une des limites d’un tel projet : ‘Titane’ est un vaste foutoir conceptuel dont émergent des notions comme l’empowerment féminin, la masculinité ostentatoire ou la parentalité en tant que simple construction culturelle, réunies sous une charpente assez lâche qui tournerait autour de la répression et de la libération des pulsions. S'évadant des structures narratives trop traditionnelles, Julia Ducournau peut laisser l’impression de ne pas raconter grand chose…mais elle le fait (ou ne le fait pas) avec une virtuosité intacte, qui la place bien au-dessus de pratiquement tous ses collègues français…et j’appuierais sans problème le constat d’une cinéaste parmi les des plus doués de sa génération toutes nationalités et genres confondus. Son cinéma restant plus sensoriel que narratif, on peut largement se contenter d’une trame fictionnelle qui fait fi de la cohérence et de la rationalité et a pour seule utilité de structurer un tant soit peu la vision et les obsessions de Ducournau. Néanmoins, au vu de ce relatif désintérêt pour l’histoire qu’elle raconte, couplé à sa haute expertise technique et esthétique et au nombre élevé de fois où elle cherche ouvertement à choquer le public ou à brutaliser ses habitudes, le soupçon de “posture” continue de planer et ‘Titane’ est, dans un certain sens, une baudruche de festival, que son excellence visuelle empêche heureusement de trop se dégonfler. Il n’est en effet saisissant d’audace et d’une originalité inédite que pour ceux qui ne parcourent pas habituellement les sentiers ténébreux du cinéma-bis. Par exemple, l’une de ses scènes possiblement subversives a été exploitée tout récemment, et de manière beaucoup plus explicite, par la réalisatrice Zoé Wittock avec le bizarre ‘Jumbo’...sans compter qu’il est impossible de ne pas songer à l’influence écrasante du cinéma de David Cronenberg, celui de ‘Crash’ évidemment mais aussi de ‘Videodrome’, dans le genèse de ‘Titane’...qui reste donc, quoi qu’il arrive, un sacré OVNI à l’échelle du cinéma français.