A quoi servent les Palmes d’or ? A couronner un film à l’esthétique remarquable, à servir une cause particulière ou à primer une œuvre censée apporter sa pierre à l’édifice de la création cinématographique ? Quand le jury du festival de Cannes a décidé d’attribuer à « Titane » la récompense suprême, chacun s’est interrogé sur les raisons de ce choix et sur le sujet qu’abordait le film. Le sujet peut se résumer simplement. Une jeune femme, Alexia, ayant été impliquée dans un accident de la route étant enfant, a développé des pulsions meurtrières qui l’ont amené à perpétrer une série de crimes dans le Sud de la France. Recherchée par la police, elle change d’identité et entre dans la peau d’un adolescent de 17 ans disparu depuis dix ans et que son père, commandant en chef d’une brigade de pompiers, croit pouvoir retrouver enfin.
Cette histoire sert de point de départ à Julia Ducournau pour créer son univers, un univers nocturne, sombre, d’où jaillissent des couleurs flamboyantes et où le vert n’a aucune place. Un univers très ancré dans le réel, où cohabitent flammes, cambouis et acier et centré autour d’un personnage fantastique devenu mi-homme mi-voiture par l’injection d’une plaque en titane dans le crane dès l’enfance. Un personnage froid, incapable d’exprimer la moindre émotion et dominé en permanence par ses pulsions. Un personnage fait de chair et de métal mais dont le corps est imbibé d’huile de moteur, capable de relations sexuelles avec des humains comme avec des voitures et qui donnera in fine naissance à un enfant aux vertèbres métalliques.
Julia Ducournau semble s’inspirer ici à la fois de Cronenberg et de Tarantino.
A Cronenberg, elle emprunte la thématique de la mutation du corps humain que le réalisateur canadien a exploré à maintes reprises à travers des films tels que « La Mouche », « Crimes du futur » et surtout « Crash » dans lequel quelques citadins canadiens pimentent leur vie sexuelle en multipliant les accidents de voiture. Dans « Titane », le corps humain est également mis sur le devant de la scène comme s’il en était le personnage principal. Ce corps humain métamorphosé par la pose d’une plaque de titane qui a développé chez Alexia une attraction charnelle pour les voitures et un besoin de tuer. Ce corps humain qu’elle tentera ensuite de transformer en masquant sa grossesse et ses formes. Ce corps humain auquel Vincent essaie parallèlement de donner une cure de jouvence nécessaire aux exigences physiques qu’impose son métier de pompier.
De Tarantino, la réalisatrice reprend la cruauté des scènes de violence au cours desquelles les meurtres sont perpétrés à main nue ou à l’arme blanche. Le personnage d’Alexia n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui qu’interprétait Uma Thurman dans « Kill Bill » : même blondeur, même coiffure désordonnée, même dureté dans le regard, même force physique, même envie de tuer. Et une habileté similaire à dégainer son arme fatale, une épingle à cheveux aiguisée pour Alexia, un katana pour l’héroïne de Tarantino.
Ce cocktail de Cronenberg et de Tarantino plonge le spectateur dans une situation perpétuelle d’inconfort : aux scènes de crime des trente premières minutes succèdent celles d’automutilation et de souffrance qui rendent presque bénignes les quelques séquences montrant le pompier se faire lui-même des injections de stéroïdes.
Il serait pourtant injuste d’émettre une opinion sur le film en fonction du sentiment d’inconfort qu’il procure. « Titane » est une œuvre qu’il faut voir avant tout pour s’imprégner de l’univers créé par la réalisatrice. Mais à vouloir mettre le corps humain sans cesse en exergue, Julia Ducournau aborde de façon trop superficielle les notions de féminité, de filiation, d’identité voire d’amour si bien qu’aucune véritable émotion ne se dégage de l’ensemble. Le spectateur a du mal à se glisser dans la peau des personnages. « Titane » laisse in fine l’impression d’un exercice de style assez vain, d’un film qui se vit comme une expérience visuelle plus qu’émotionnelle. C’est dommage : Julie Ducournau a du talent et a une capacité à repousser les limites de la création cinématographique. Une réalisatrice à suivre dont on guettera la sortie du prochain long-métrage.