En quelques mois nous avons pu voir Camille de Boris Lojkin qui retraçait la courte vie professionnelle de Camille Lepage, jeune photographe de guerre tuée en République Centre Africaine en 2014 à l’âge de 26 ans, puis Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay qui retraçait la vie de Paul Marchand, correspondant de guerre grièvement blessé lors du siège de Sarajevo, en novembre 1992, siège qu’il aura largement contribué à faire connaitre à une communauté internationale impassible…Ces deux films étaient des films de fiction où s’inséraient documents d’archives ou images prises par Camille Lepage ou Paul Marchand. Toute autre est la démarche de la documentariste Mariana Otero dans Histoire d’un regard qui s’est plongée dans la centaine de milliers d’images laissées par Gilles Caron, photoreporter pour l’agence Gamma, disparu au Cambodge en 1970 à l’âge de trente ans. En scrutant attentivement ces images, Mariana Otero essaye de comprendre l’approche du photoreporter notamment en disséquant la célèbre photo de Dany Cohn-Bendit, goguenard , narguant avec un sourire juvénile ce policier engoncé dans son uniforme…C’est l’une de photos iconiques de 1968 avec la photo de Jean-Pierre Rey, montrant la jeune mannequin anglaise Caroline de Bendern juchée sur les épaules du jeune plasticien Jean-Jacques Lebel….Ces deux photos ont fait le tour du monde, pour le malheur de Caroline de Bendern !!! Mariana Otero montre à travers la douzaine de photos prises avant puis après, comment Gilles Caron s’est déporté sur le côté de la scène pour trouver le bon angle et appuyer sur le déclencheur…Mariana Otero reconstitue la chronologie des photos, dans des séquences de prises de vue et suit le parcours de Gilles Caron, en 1967, en Israël pendant la guerre des six jours, où avec l’aide de l’historien Vincent Lemire, ils retracent les déplacements du photographe à travers la vieille ville jusqu’au Mur des Lamentations que Gilles Caron découvre…au Vietnam, sur la colline de Dak To, l’une des batailles les plus dures du conflit, au Biafra en avril 1968 , puis deux autres fois avec Raymond Depardon, la publication de ses images dans Paris Match fait de l’agence Gamma la première agence mondiale…Gilles Caron couvre en aout 1969 les émeutes de Londonderry côté catholique, et réalise le 12 aout cette autre photo iconique montrant cette jeune fille blonde en minijupe seule avec son petit sac à main au milieu d’une place couverte de gravats laissés par les émeutiers…Dans le film, Mariano Otero et Marjolaine, la fille ainée de Gilles Caron, se rendent cinquante ans après les émeutes, à Londonderry, retrouver certains protagonistes du drame…c’est un passage très émouvant notamment quand les deux sœurs retrouvent la photo de leur frère Jim tué par les policiers britanniques…
Gilles Caron se rendra début 1970 au Tibesti Tchadien avec Raymond Depardon, Robert Pletge et Michel Honorin, rencontrer les rebelles Toubous. Tombés dans une embuscade, les quatre journalistes seront retenus un mois en détention par le gouvernement tchadien… En avril après la destitution de Norodom Sihanouk, il se rend au Cambodge et disparaitra sur la route numéro 1 qui relie le Cambodge au Vietnam, zone contrôlée par les forces de Pol Pot…Des années après, sa fille repassera le bac qui même à cette route pour retrouver la trace de son père…
Mariana Otero, par un beau travail de voix off, s’efface derrière ces images comme Gilles Caron semble lui-même s’être effacé derrières ses prises de vue… Un travail remarquable et un grand film sur l’art et la manière dont les images s’impriment dans notre mémoire collective…. A ne pas manquer !!!