Le synopsis laisse présager une histoire forte et tragique, à savoir, il y a 50 ans, en 1970, la disparition brutale du photographe Gilles CARON, à l’âge de 30 ans, au Cambodge (au cours de combats entre cambodgiens et vietnamiens, le corps n’ayant jamais été retrouvé), laissant une épouse, Marianne et 2 filles, Marjolaine et Clémentine. Le film est passionnant car à double lecture, d’une part, le regard de photographe de Gilles Caron et d’autre part, le regard de Mariana Otero sur le photographe. Tout débute par la réception par la réalisatrice d’un colis, envoyé par son ami Jérôme TONNERRE (scénariste, notamment de Claude Lelouch, Claude Sautet, Yves Robert) et contenant une biographie du photographe.
En le feuilletant, elle découvre les photos prises pendant les événements de mai 1968, année à forte résonnance pour elle car sa mère, Clotilde Vautier, peintre, est morte à 28 ans, en mars, à la suite d’un avortement clandestin.
Elle décide d’approfondir les 100 000 photos (numérisées et disponibles sur disque dur externe) qu’il a prises au cours de sa courte carrière (3 ans) et notamment 2 pellicules prises en mai 68 et où se trouve une photo très connue de Daniel Cohn-Bendit, goguenard face à un policier. L’observation minutieuse des photos permet de suivre le chemin de Gilles Caron et les circonstances de prise de cette photo devenue iconique. En 1966, suite à la rencontre avec Raymond Depardon, il entre à l’agence Gamma, fondée par ce dernier. Son premier grand reportage (48 pellicules) s’est déroulé en Israël pendant la guerre des 6 jours (du 5 au 10 juin 1967).
A son arrivée, il quitte le bus des journalistes, loue une voiture et suit les soldats israéliens qui entrent dans Jérusalem. Il photographie ainsi des soldats qui embrassent le Mur des Lamentations ainsi que Moshé Dayan (ministre de la défense, doté de son célèbre cache-œil) qui déambule dans la ville, des fleurs sauvages à la main.
D’après ses photos et grâce à une carte de la ville et un historien (Vincent LEMIRE), Mariana Otero montre le parcours de Gilles Caron dans la vieille ville de Jérusalem, notamment dans le quartier magrébin (qui sera détruit dans les jours qui suivent) et l’esplanade des Mosquées avant de rejoindre le canal de Suez.
Lui qui a fait la guerre d’Algérie comme appelé, il est interpellé par le fait que les soldats israéliens portent les surplus de l’armée française pendant la guerre d’Algérie
. Ce reportage, paru dans Paris Match, le rend célèbre. Il a aussi photographié des artistes (Liza Minnelli, Johnny Halliday, Catherine Deneuve), notamment à une Première à l’Olympia ou des hommes politiques (Georges Pompidou) à Paris. En novembre 1967, il part au Vietnam (3 000 photos) et participe à la bataille de Ðăk Tô sur les hauts plateaux centraux du Vietnam du sud.
Il envoie ses pellicules par un vol Air France mais qui décolle avec du retard (à cause du brouillard), les empêchant d’être publiées lors de la sortie de Paris Match. Il reste sur place, photographiant alors des prostituées en compagnie de soldats américains. Mariana Otero illustre ses photos du Vietnam par la lecture des lettres qu’il a écrites à sa mère pendant la guerre d’Algérie. Sa fille Clémentine nait pendant son séjour.
En avril 1968, il couvre la guerre du Biafra au Nigeria. Après 2 voyages au Biafra (état ayant fait sécession et qui subit la famine suite au blocus effectué par l’état nigérian, à l’origine d’un million de morts), il est interviewé en juillet 1968 à la télévision par Pierre Sabbagh (seule interview filmée existante). Il est bouleversé par ce qu’il a vu : les images d’enfants décharnés, dénutris sont bouleversantes. Il y croise Raymond Depardon. En août 1969, il couvre les manifestations des catholiques en Irlande du nord ainsi que la marche des protestants le 5 août à Derry (1 200 photos en 3 jours).
Mariana Otero a rencontré des femmes ou des hommes qui avaient participé aux manifestations de l’époque : 2 sœurs, encore émues, évoquent le souvenir de leur frère, pris en photo et qui fut tué plus tard, à 21 ans, par des soldats britanniques. Une peinture murale reproduit d’ailleurs une photo de Gilles Caron.
Il repart ensuite pour Prague pour couvrir les manifestations à l’occasion de l’anniversaire de l’occupation soviétique et de la fin du « Printemps de Prague ». En janvier 1970, il part au Tchad en compagnie de Raymond Depardon, Michel Honorin et Robert Pledge pour couvrir la rébellion des Toubous dans le Tibesti.
Ces derniers sont attaqués et tués par l’armée gouvernementale et les 4 journalistes, présents à leurs côtés, incarcérés pendant 1 mois.
Suite à la destitution de Norodom Sihanouk, chef d’état du Cambodge, par le général et premier ministre Lon Nol, le 18 mars 1970, Gilles Caron, seul photographe disponible de l’agence Gamma, s’y rend le 31 mars. Il est pris en (dernière) photo le 5 avril 1970 par un autre photographe, en prenant le bac qui traverse le Mékong et rejoindre la R.N.1., route qui relie Phnom Penh à Saigon.
Ses affaires étaient restées à l’hôtel Le Royal. Avant de disparaitre, il avait écrit une lettre à sa femme, faisant état de sa solitude et ennui au Cambodge, voyage qu’il n’aurait pas dû faire à son retour du Tchad… Sa dernière pellicule contient des photos, à la fois de ses filles dans son jardin et du Cambodge.