Près d’un an après « Jinpa, un conte tibétain », Pema Tseden continue d’adapter ses nouvelles, comme pour « Tharlo, le berger tibétain ». Mais cette fois-ci, son approche est plutôt verticale qu’horizontale. En laissant ainsi le lyrisme envahir ses plans et le décor rural d’un Tibet, retranché dans son conservatisme religieux et culturel, le cinéaste parvient à rythmer son récit avec nos pensées, oscillant entre deux pôles, qui bien sûr s’opposent, mais qui transpirent une réflexion à plusieurs échelles. Le fossé est mince où les traditions et la modernité s’entremêlent intimement. En multipliant les points de vue et appliquant le filtre imaginaire des enfants, nous découvrons le monde qu’est le nôtre, un monde aux mille dilemmes. Ce qu’il dissimule n’est pas aussi simple à lire ou à interpréter, mais c’est sur la base même de l’enfant unique qu’on distinguera les déchirures d’une société, qui n’est pas encore prête à accepter la renaissance.
Loin de Pékin et de son influence, le film détaille sa démarche avec une spontanéité saisissante, sans pour autant négliger ce qui fait l’ADN d’une famille d’éleveurs. On nous emmène ainsi, proche du lac Qinghai, dans un enclos, celui de brebis attendant leur bélier et celui de Drolkar (Sonam Wangmo) et sa famille, qui empilent toutes les contradictions d’une réalité éprouvante et éclectique. La première scène parle d’elle-même, comme une rupture de ton dans une époque où la bienséance mute. Trois générations se répondent plus qu’ils ne partagent. Deux enfants, deux frères tiennent dans la main un symbole d’émancipation fort. Ce qui expédiera le récit dans une quête spirituelle, où les défunts seront les premiers à jouir d’une forme propre, d’une couleur sanguine et d’une liberté, à en faire pâlir ceux qui ne pourront s’empêcher de lever les yeux pour trembler de jalousie ou d’admiration. Ce message s’envole de la terre au ciel, tandis que la notion de transmission sera plus complexe à appréhender, notamment aux côtés du père de famille, Dargye (Jinpa), puissant comme son cyclomoteur et fougueux comme l’animal qu’il a emprunté.
De drame entre ainsi dans l’intimité et la nuance du Bouddhisme, souvent par le biais d’une sœur, qui ne s’est jamais remis d’une peine de cœur et qui s’est abandonner à la foi. Pourtant, sa réaction ponctue la déception de son geste et sème le doute dans la manière de traiter ce genre de deuil. L’astuce de la fantaisie revient donc souvent à l’écran, car reconnaissable à son aura chaleureuse et salvatrice, avant que l’on nous ramène dans une réalité froide, frustrante et conditionnée par la loi des hommes. Il y a tant d’oppositions à étudier, tant de rapport de force à développer et il y aura toujours l’idée d’un préservatif flottant en arrière-plan. Il s’agit d’une limite, dont il est nécessaire de s’affranchir, mais la structure narrative nous accompagne jusqu’au bout, quand bien même le monde s’effondre. Ni l’éducation, ni la médecine ne semble correspondre au remède qui apaiserait les esprits des réincarnés ou de ceux qui les défendent.
« Balloon » bourdonne sans cesse de nostalgie et préfère s’articuler comme pivot social, mais en acceptant tous les points de vue des individus. Ceux des plus jeunes font l’objet d’une préservation renforcée. Ils s’insèrent souvent dans des situations gênantes et des réflexions qui sondent la frontière de leur innocence, qui s’envolera comme l’unique espoir d’enfin voir leurs ainés se réconcilier. De la même manière, le film tente et réussit à faire cohabiter le désir et l’épanouissement de ses personnages, sans que son schéma n’éclate à coup de sabot.