Il suffit de voir le générique pour comprendre.
Oui, ce « Lupin III » a un charme, c’est certain ; un charme qu’il tirera pour l’essentiel de sa série originale.
D’abord il y a ce personnage de Lupin aux faux airs de Bébel, mais aussi cet univers gentiment bordélique qui pioche un peu dans tout et dans n’importe quoi, et puis surtout ce goût prononcé pour la cabriole bien plus que pour la cambriole.
Et je ne vais pas vous mentir, sitôt j’ai entendu les premières notes du célèbre thème de « Lupin III » – un bijou d’énergie et d’années 70 que je me suis déjà écouté des centaines de fois sans me lasser – j’ai ressenti ces petites vibrations qui ne m’assaillent que très rarement au cinéma.
Seulement voilà, il était dit que ce générique était voué à annoncer tout ce qui allait advenir – et notamment la terrible déconvenue qui allait s’en suivre – car en même temps que je vibrais pour la musique je sentais en parallèle que le moteur était déjà en train de se gripper.
L’élan insufflé par la musique s’avérait lesté. La mise en scène qui aurait dû accompagner cette puissance dynamique était à côté de ses pompes. Pas de punch. La coupe molle. Le mouvement trop peu saillant…
Un détail diront certains… Mais de mon point de vue il s’agissait bien plus là d’un véritable fardeau.
…Un fardeau amené à gâcher tout le plaisir.
Parce que le problème avec ce long-métrage « Lupin » c’est qu’il est désespérément plat.
A dire vrai la mise en scène n’est qu’une des multiples déclinaisons formelles de tout ce qui cloche dans ce film.
Alors certes l’image est très soignée, on s’efforce de respecter le matériau original en mobilisant pas mal de figures de l’animé original et l’intrigue sait à la fois jouer la carte de la grandiloquence attendue d’une adaptation au grand écran de l’œuvre de Monkey Punch. Sur tous ces points-là, rien à redire : c’est du travail tout ce qu’il y a de plus honnête.
Seulement voilà le problème c’est que le cinéma ça ne s’arrête pas qu’à ça.
Le cinéma c’est de l’image mise en mouvement. C’est de la rythmique. C’est une orchestration savante de tous les aspects formels pour qu’à un moment donné on ait l’impression que ça prenne vie.
Or là, dans ce « Lupin III », l’élan est désespérément atone.
Les plans sont longs, les transitions s’enchainent selon un rythme régulier quelque-soit la nature de l’instant, le cadre ne parvient jamais à sortir d’une banale forme d’illustration.
De même, à force de s’enchaîner les scènes révèlent des choix curieux en termes de mise-en-scène. Parfois on s’étale dans des discussions un brin longuettes alors que d’un autre côté on opère des ellipses assez violentes qui peuvent passer à côté de l’essentiel.
Je pense notamment au moment où Lupin et Laëtitia décident de s’associer pour retrouver le livre de Bresson. A peine l’accord est-il acté que les deux aventuriers se retrouvent planqués dans les caisses d’un cargo. Pourquoi ? Comment ? Dans quel but ? Tout ça n’est pas clairement dit. Il est juste question d’un rendez-vous mais dont on ne sait pas grand-chose. Et quand soudain un immense avion vient se poser, une transition s’opère brusquement au sein du repère de Lambert et de Geralt. On remarque alors que Lupin et Laetitia sont là. Par déduction j’ai fini par me dire que le repère était certainement dans l’avion mais sans en avoir la certitude sur l’instant. Et c’est con parce que franchement, l’idée d’avoir un repère avec des vieilles bibliothèques à l’intérieur d’un avion de combat ça envoie vraiment pas mal, du coup c’est aurait quand même une phase où on le découvre !
D’ailleurs, il faut savoir que durant tout le premier tiers du film, la réalisation opte d’ailleurs assez régulièrement pour la transition en fondu enchainé. C’était comme si le cut était perçu comme quelque-chose de trop brutal alors du coup on amortit tout.
Ça donne en conséquence un film mou qui n’arrive pas à faire impacter quoi que ce soit.
Et vu que l’intrigue et les personnages ne sont pas des trésors d’inventivité et de profondeur non plus, cette mise-en-scène a un effet anesthésiant des plus pénalisants.
Et franchement c’est triste, parce que sur la longueur ce « Lupin III » parvient à poser quelques bonnes idées qui auraient pu faire de lui un spectacle frais et charmant.
Le dernier tiers avec l’exploration de la cave de l’Eclipse est assez sympa. Et cette idée de faire intervenir un Hitler ayant survécu à 1945 est aussi – l’air de rien – quelque-chose d’assez original et culotté.
La frustration n’en est donc pour moi que plus grande. Le fait de constater qu’il y avait un fond intéressant dans ce film mais que c’est au final la forme qui le savate en grande partie ne peut générer que d’autant plus de regrets…
…Des regrets et des questions.
Parce qu’en effet, avec le recul, il y a quand-même des choix qui questionnent.
Il m’a suffi de me refaire un épisode de la série originale en rentrant chez moi pour que certaines évidences me sautent aux yeux.
Alors certes, un épisode de « Lupin » à la base c’est aussi assez figé. On sent qu’on a affaire à du manga un peu fauché qui économise de l’animation un peu partout. Les foules sont immobiles, les visages sont rigides et les discussions dans les lieux clos, sans mouvements, sont bien plus nombreux qu’il n’y parait…
Seulement voilà, à l’époque on a visiblement conscience de ces contraintes alors on les compense avec plein d’autres choses. On créé des dynamiques à l’écran en jouant sur des contre-plongées, on enchaine les postures et les expressions très signifiantes, on multiplie les zooms ou rotation, on enchaine les coupes et les effets de rupture, on habille avec des musiques… Et surtout on fait ça avec la cohérence et le savoir-faire pour que ça fonctionne ; pour qu’on ressente la tension et l’aventure alors que, dans les faits, il n’y a pas grand-chose à l’écran.
Mais là, dans ce « Lupin III : The First » on a presque tout l’inverse.
C’est comme si le choix qui a été fait d’animer en images de synthèse avait bousculé et perturbé toute la grammaire visuelle de la série.
Vu qu’avec cette méthode, les contraintes en termes de nombre de valeurs de plans différentes, de mouvements ou de détails dans l’image ne se posent plus de la même manière, plus rien n’est géré de la même façon. Ainsi se retrouve-t-on désormais avec une image très belle mais en contrepartie on a perdu toute la percussion de la mise-en-scène.
Pire, dans ce nouveau cadre où tout devient plus souple, les jeux de gestuelles en deviendraient presque étranges. Comme ils ont voulu garder la gestuelle de Lupin mais que la fluidité de l’animation rend désormais caduques ses longues poses figées, alors Lupin se retrouve désormais à bouger partout et tout le temps sans raison particulière.
Et le problème se retrouve aussi sur les scènes d’action. Entre d’un côté les scènes très cartoon et de l’autre ce rendu visuel assez réaliste, l’osmose ne prend pas toujours.
En fait il aurait fallu faire des choix : soit acter le changement de mode de production et dans ce cas là revoir totalement l’identité visuelle de la série, soit vouloir rester fidèle aux gestuelles et la grammaire de la série et dans ce cas faire de l’animation classique.
Or, ce choix-là, il n’a pas été fait, ce qui explique certainement cette mise-en-scène qui ne sait pas où se poser au point d’en perdre jusqu’à sa grammaire la plus élémentaire.
Alors oui, d’accord, oui c’est vrai que ce « Lupin III : the First » n’est pas malhonnête, ça je l’entends. Mais malheureusement il n’est pas vraiment pertinent non plus.
Être fidèle à une série qu’on adapte, ce n’est pas seulement reproduire des personnages, des intrigues et une esthétique. Être fidèle à une série qu’on adapte c’est aussi être fidèle à une atmosphère et à un esprit. Or ça, ça se traduit aussi par la forme ; par la mise en scène.
Et sur ce plan-là, je suis désolé, mais ce « Lupin III : the First » passe à côté de l’essentiel.
Il n’a ni le sel, ni le rythme, ni le relief de l’œuvre qu’il entend adapter.
Il est juste tristement plat.
Et faire du cinéma plat, non seulement ce n’est pas rendre hommage au travail de Monkey Punch, mais ce n’est clairement pas non plus rendre hommage au cinéma tout court…