C’est un peu le comble de constater que le film de David Fincher, qui est un hommage au cinéma dans la forme comme sur le fond, aura été privé du grand écran et n’est disponible qu’en streaming. Il n’est en revanche, pas privé de nominations aux Oscar et je comprends pourquoi, le cinéma américain adore s’auto célébrer ! Fincher se fait plaisir avec « Mank », il réalise un film à l’ancienne dans tous les sens du terme. Filmé intégralement en noir et blanc, avec un générique de début digne des années 40, un grain tout à fait comparable aux grands classiques avant la couleur et même, ultime coquetterie, les petits ronds blancs qui apparaissent furtivement pour signaler qu’il faut changer les bobines ! Il est difficile de ne pas penser à « The Artist » quand on regarde « Mank », pas seulement à cause du noir et blanc, mais aussi parce la toile de fond est la même : les années 30-40, la toute puissance des studios, la crise économique de 1929 qui change la donne du cinéma, le passage du muet au parlant, et la difficulté d’être « hors des clous » dans une industrie qui s’uniformise. Fincher est un grand réalisateur, il nous offre un film vraiment différent à l’époque du tout numérique, et on peut le remercier pour cela. Seulement, le souci c’est que « Mank » est long, presque 2h15, et il y a des moments où franchement, on relâche notre attention parce que telle scène dure trop longtemps, telle scène est trop bavarde, telle autre n’apporte pas grand-chose. Si l’action principale se situe en 1940 en petit comité, le film est rythmé par les flash back (clairement identifié comme tel, là encore une petite coquetterie) entre 1930 et 1940. Ces flash back sont censés montrer comment Mank s’est peu à peu mis à l’écart du système, s’est mis à dos pas mal de monde, s’est aussi interrogé sur le pouvoir de nuisance du cinéma, notamment dans le domaine de la politique. Gary Oldman, qui tient le rôle titre, offre à Fincher un Mankiewicz un peu pathétique par moment. Bouffi et bedonnant sur son lit de convalescence, luttant sans grande conviction contre la bouteille, dictant un chef d’œuvre à sa secrétaire sur un ton neutre, il n’est pas particulièrement impressionnant, ni même sympathique. Le « Mank » des années 30, lui, est plus mordant, plus incisif, plus idéaliste peut-être. Mais malgré tous les efforts de Gary Oldman, et aussi son talent, on n’arrive pas bien à cerner ce personnage, il ne nous apparait jamais clairement. En plus, les scènes où il est aviné, particulièrement celle du repas costumé, sont contre productives. Tout ce qu’il essaie d’expliquer, sur Don Quichotte et ce qui deviendra « Citizen Kane » est confus et complètement éclipsé par le délire alcoolique : on devrait être fasciné, on est seulement mal à l’aise ! Le reste du casting est un peu transparent, Amanda Seyfried en tête, mais je souligne quand même la performance toute en retenue, dans un rôle très intéressant, de Jamie Mc Shane. Son personnage, Shelly Metcalf, au chômage et prêt à tout pour retravailler,
se fait manipuler dans un film de propagande pro-républicain, il ne s’en remettra pa
s. Toute cette partie du scénario sur les élections de 1934 est personnellement celle qui m’a parue la plus réussie, la plus pertinente, la plus incisive. Mais pris dans son ensemble, le film n’a pas eu sur moi l’effet escompté. Jusqu’ici, je n’avais jamais été vraiment déçue par David Fincher, au contraire, Mais avec « Mank », il m’a laissé sur le bord de la route. Ca vient peut-être un peu de moi, je n’ai peut-être pas toutes les références cinématographiques pour bien tout comprendre. J’ai vu « Citizen Kane » mais il y a longtemps (je devrais peut-être le revoir après « Mank », ce serait surement une expérience intéressante), je ne connais sans doute pas assez bien l’histoire du cinéma US de cette époque, il y a sans doute beaucoup de choses qui m’ont échappé. C’est probablement le principal défaut du film, il s’adresse à des cinéphiles. Le grand public, dans lequel je m’inclus, assiste à la genèse de « Citizen Kane » sans bien tout comprendre, et quand on en comprend pas, et bien on trouve le temps long. On peut peut-être tenter (prudemment) une comparaison avec « Dalton Trumbo », qui évoquait une autre époque, celle du Maccarthysme. Si sa réalisation était plus conventionnelle, le scénario rendait en revanche parfaitement intelligible la personnalité du Trumbo, les enjeux politiques et personnels de sa « dissidence », le sens symbolique de ses scenarii, l’ingratitude du travail de l’ombre et le poids écrasant des studios. Sur tous ces sujets, « Mank » nous perd en route, et le film terminé on sent bien qu’on est passé à coté de quelque chose qui aurait pu être magique. « Mank » est sans doute un peu la preuve que quand Hollywood se regarde le nombril, il oublie que le cinéma ne se cantonne pas à ceux qui le font.