C'est comme le projet d'une vie pour David Fincher. Un scénario écrit à partir des années 90 par son propre père, Jack Fincher, décédé depuis, dont le jeune David va très vite vouloir adapter au cinéma. Choses promises, choses dues, près d'une vingtaine d'années après. Mais c'est aussi un signe : celui d'un retour au cinéma (certes, à travers la puissance des plateformes qui tracent leurs petit chemin), d'autant plus important puisqu'il puise sa forme et son fond à travers un récit imprégné de l'âge d'or Hollywoodien. Une époque qui rejoindrait presque le mythe et dont chaque cinéphile y pose un regard fasciné, amoureux, se remémorant les autres grandes œuvres d'antan comme *Sunset Boulevard* ou *Singin' in the Rain* en autres. Mais le *Mank* de Fincher nous fait encore plus trembler puisqu'il s'immisce dans les pas d'Herman J. Mankiewicz, le coscénariste (si l'on peut dire) du chef d'œuvre *Citizen Kane* réalisé par Orson Welles et sorti en 1941. Scénariste pris entre l'alcool, les jeux et un Hollywood des années 30 assoiffé de folie, Herman J. Mankiewicz, superbement interprété par Gary Oldman, se retrouve chargé d'écrire le scénario du fameux *Citizen Kane* pour le compte d'un mystérieux et jeune prodige new-yorkais répondant du nom d'Orson Welles, et ainsi voit l'opportunité de s'inspirer pour son script d'un être haut en couleur, véritable grand magnat de la presse et de l'immobilier qui l'a longtemps fasciné : William Randolph Hearst, dont la vie imprimera donc la grandeur et la fureur du personnage fictif Charles Foster Kane.
Il y'a un véritable petit plaisir à suivre *Mank*, ou la ballade enivrée d'Herman Mankiewicz au cœur d'un Hollywood année 30 remplie de folie, de cinéma et de politique, où les deux s'avouent d'ailleurs intimement liés. La rédaction du scénario de *Citizen Kane* n'apparait finalement qu'au second plan, tant le spectre d'Orson Welles apparait comme une voix céleste ou quasi-fantomatique, mais toujours présente à travers des coups de téléphone rapides ou des apparitions fulgurantes et mystérieuses. Orson Welles est finalement comme un ange gardien, loin d'Herman mais près de son cœur, croyant perpétuellement au talent de cet ivre scénariste capable d'écrire au bout de sa plume l'un des plus grands récits de tous les temps. Malgré leurs brouilles, ces deux-là sont infiniment liés, tant la fougue et l'envie de contrebalancer le système du premier (Herman), et le regard lointain et quasi-douteux de cette société des "rêves" du deuxième (Orson) sont des caractéristiques qui font d'eux les piliers nécessaires pour le projet *Citizen Kane*, un film qui viendra pousser le cinéma à un niveau de narration encore jamais atteint, et ainsi s'inscrire dans la légende du 7ème art.
Mais le véritable premier plan de *Mank* est donc bien le regard que porte Fincher, père et donc fils, sur le Hollywood des années 30. Un monde frénétique, manœuvré par les grands studios et magnifié par les auteurs. Alimenté par les spectateurs, et le regard toujours tourné vers la politique. Au milieu de cet valse en noir et blanc navigue Herman Mankiewicz, où Fincher rejoue d'ailleurs sur le style *Citizen Kane* et s'appuyant sur les flashbacks d'un Herman M. prisonnier de sa maison de campagne après un accident de voiture. De ces déboires avec la MGM, à sa liaison folle avec l'amante de William Randolph Hearst, jusqu'à la lutte politique effrénée et corrompue pour le poste de gouverneur de Californie marqué par la grande dépression, *Mank* pose un regard émerveillé et critique sur cette usine à rêve. Herman Mankiewicz en serait comme le parasite, en s'appuyant sur les faiblesses et la folie de cet Hollywood pour en extraire l'art et ainsi écrire *Citizen Kane*. **David Fincher s'aventure dans un film au multiples intrigues, mais ne serait-ce peut-être pas là le véritable défaut de *Mank* ?**
C'est un film complexe, à la rapidité des dialogues et d'informations parfois déconcertantes. Mais David Fincher ne viendrait-il pas, à travers certains dialogues véritable "brasseurs d'air", combler les vides de *Mank* ? Le film aligne perpétuellement les mots et s'exposent ainsi à cette véritable question rendant le spectateur parfois dubitatif face à l'œuvre une fois terminée : Que doit-on retenir ? De même maintenant, à l'écriture de cette critique plusieurs heures après vu le films, qu'est-ce que j'ai retenu ? Le film envoie constamment, ne laissant que de peu de place pour le spectateur de divaguer, mais aussi de se questionner sur la véritable teneur de certains dialogues et certaines scènes. *Mank* amène à un malheureux constat final : celui d'avoir eu parfois affaire à un beau mur fragile. Tel un mur au noir et blanc magnifique, il faut l'avouer, mais dont la consistance est à revoir.
Le nouveau film de David Fincher est très surement un plaisir de cinéphile, pouvant laisser de côtés certains s'attendant à retrouver la tension qu'émettait le réalisateur de *Seven*, ou la beauté universelle de *Benjamin Button*. Mon attente de *Mank* était très certainement à égal de mon petit plaisir à voir le film, et ainsi à retrouver un regard cinématographique sur cette époque folle dont l'on ne se lasse jamais. **En revenant sur les pas de l'imprévisible Herman J. Mankiewicz, David Fincher m'a passionné, mais m'a aussi et surtout conduit à me questionner sur la véritable intention finale derrière le film, tant *Mank* parait faible à certains moments : N'est-ce finalement pas un simple plaisir de Fincher de réaliser un film imprégné de style de l'âge d'or ? Un plaisir personnel, peut-être, mais qui fonctionne indéniablement tant cette ballade enivrée fait relativiser ses défauts immanquables.**