Aïe, déception... Relative, certes, car "Bliss" n'est pas si déplaisant à suivre en soi (d'où cette note) mais, si on le compare à l'aune des autres propositions de SF intimistes de Mike Cahill ("Another Earth, "I Origins") si ambitieuses par la portée philosophique de leur discours, on a l'impression d'être nous-mêmes passés dans une autre réalité où le cinéaste livrerait le minimum syndical de ce qui aurait pu être une sorte de grandiose "Matrix pour les désespérés".
Dans notre triste monde, un employé dépressif (interprété par Owen Wilson) n'a plus que pour seul moyen d'évasion la vision d'un endroit paradisiaque qu'il dessine de façon obsessionnelle. Croyant avoir définitivement atteint le point de non-retour de sa terne existence, il rencontre une SDF (Salma Hayek) ayant le don de manipuler le cours de la réalité à l'aide de mystérieux cristaux...
Même si elle part sur quelques données caricaturales pour expliquer l'inévitable fuite en avant de son héros, la première partie de "Bliss" a le mérite de fonctionner. Bon, il n'y a guère de mystère sur la manière d'interpréter métaphoriquement l'ensemble (Cahill ne se montre pas très subtil sur certains plans/indices furtifs dévoilés assez tôt) mais, tout comme le personnage d'Owen Wilson, il est plutôt plaisant de découvrir cette nouvelle perception de notre réalité par les yeux et les agissements extraordinaires de cette SDF, quelques scènes de manipulations sur autrui font ainsi leur petit effet. Cependant, dès lors que les finalités très convenues de l'entreprise prennent le pas sur le reste, "Bliss" s'enlise dangereusement autour de la faiblesse de sa proposition et, au-delà de la prise de conscience attendue de son héros amorphe, n'envisage qu'une potentielle porte de sortie via une relation père-fille trop vite dessinée pour réellement convaincre.
Afin de relancer la machine, Mike Cahill prend néanmoins une très bonne décision : enfoncer la tête de son personnage principal encore un peu plus sous l'eau et lui/nous faire découvrir un autre versant de cet univers ! L'astuce a le mérite de marcher et laisse même espérer à mi-parcours que "Bliss" en avait gardé sous son capot scénaristique. Hélas, là encore, l'illusion ne durera qu'un temps, le parcours paresseux de cette odyssée du désespoir vers la lumière reprendra rapidement ses droits, offrant tout de même quelques idées et séquences loin d'être plaisantes au passage mais qui ne sauront jamais supplantées à elles seules un film incapable de s'extirper de ses enjeux simplistes.
On s'avance peut-être mais, en perdant Brit Marling, sa OA de muse dans ses précédentes œuvres, pour la remplacer par des acteurs hollywoodiens plus consensuels, Mike Cahill semble aussi avoir égaré une partie de son inspiration pour se réfugier vers des standards plus banals. Quelques idées et une patte encore reconnaissable subsistent ici et là mais il serait dommage de perdre ce qui nous a tant plus dans la vision de ce cinéaste dans des films plus formatés et donc mineurs comme ce "Bliss"...