Le projet 5 est le numéro parfait remonte à plus de quinze ans. Plusieurs cinéastes ont envoyé des petits mots au dessinateur de BD Igort pour réaliser l'adaptation ciné. Certains étaient napolitains. Des producteurs européens, américains ou asiatiques s’y sont intéressés. L’un des premiers a été Marco Müller, l’ancien directeur des Festivals de Venise et de Rome : Müller est un intellectuel de culture internationale, il parle couramment chinois et avait remarqué que la façon dont Igort avait écrit et dessiné cette histoire correspondait bien au cinéma asiatique.
"Il m’avait proposé de coréaliser le film avec le cinéaste chinois Johnnie To. Le projet a pris corps : je suis parti pour Hong-Kong, j’ai commencé à travailler au coeur de la machine à rêves hong-kongaise, qui est très impressionnante. Comme Johnnie To tourne parfois trois ou quatre films par an, tout doit être minutieusement préparé : dans le grand atelier de sa société, Milky Way, trônait un panneau de sept mètres de long avec mon livre, découpé en séquences et traduit en chinois. Nous avons discuté presque un an, et puis Johnnie To a choisi d’autres projets. Je crois que Vengeance, le film qu’il a tourné avec Johnny Hallyday, était trop proche de cette histoire."
Igort (Igor Tuveri) travaille depuis la fin des années 1970 comme auteur de bande dessinée, illustrateur, essayiste et musicien. Ses premières histoires apparaissent dans la revue « Il pinguino » qu’il a lui-même fondée et à laquelle participent également Giorgio Carpinteri, Lorenzo Mattotti, Daniele Brolli, Roberto Baldazzini. Depuis les années 1980, ses bandes dessinées sont publiées dans les pages de revues nationales et internationales telles que Linus, Alter, Frigidaire, Métal Hurlant, L’écho des Savanes, Vanity, The Face, Vogue, The New Yorker. Il écrit des articles, des essais, des réflexions pour Il Manifesto, Reporter, Il Corriere della Sera, Repubblica. Ses oeuvres sont publiées dans plus de 26 pays, dont les États-Unis et la France. Il a récemment reçu le prestigieux Premio Napoli, sous le Haut Patronage de la Présidence de la République, pour la diffusion de la culture italienne dans le monde. Il vit entre Paris et sa Sardaigne d’origine.
Dès sa sortie, la bande dessinée 5 est le numéro parfait a été un phénomène d’édition. Publié dans 20 pays, traduit dans 15 langues et récompensé par de nombreux prix internationaux, il est devenu un livre culte, l’un des romans graphiques les plus traduits dans le monde qui a hissé son créateur, Igort, au rang des plus importants auteurs du genre au niveau international.
Igort avait refusé plusieurs fois de réaliser lui-même l'adaptation de son roman graphique. Il s'était notamment résolu à écrire le scénario pour Johnnie To et fait des repérages pour lui à Naples. "Mais souvent, quand je parlais à un producteur ou à un metteur en scène intéressé, j’avais le sentiment qu’ils passaient à côté de choses importantes. Un producteur lors de nos nombreux échanges m'avait dit que nous pourrions tourner le film à Londres. « À Londres ? », lui ai-je demandé, et il a répondu que comme il y pleuvait beaucoup, cela lui semblait la ville idéale. Mais qu'est-ce que la Camorra ou le sens profond de la religiosité typique de la mafia italienne ont à voir avec Londres ? Un autre m’avait dit qu’on pourrait faire appel à des acteurs américains. « Ah bon », avais-je répondu, « mais un personnage jamais sorti de Naples qui parle américain, ça sera bizarre, non ? ». « Oh, on s’arrangera ! ». Mais ce n’est pas un détail que Peppino n’ait jamais quitté sa ville, c’est structurel à l’histoire", explique le cinéaste.
Les références d'Igort pour créer sa Naples métaphysique ne se trouvaient pas du côté de la bande dessinée, mais plutôt dans les peintures de De Chirico ou les murs délabrés de Stalker de Tarkovski. "J’ai cherché un directeur de la photo qui pouvait travailler comme Aleksandr Kniajinski avec Tarkovski ou Christopher Doyle avec Wong Kar Wai. Quelqu’un qui joue avec la lumière pour créer des compositions picturales. Je l’ai trouvé en la personne du Danois Nicolai Brüel, qui a notamment éclairé Dogman de Matteo Garrone. Notre complicité a été totale. Nous cherchions les mêmes choses : une certaine profondeur de champ pour montrer la solitude des personnages ; une dimension expressionniste de la ville, un peu comme les cinéastes allemands et autrichiens ont inventé la New York du cinéma noir."
Les personnages de 5 est le numéro parfait parlent un napolitain assez compréhensible, différent du napolitain glissé de la dernière saison de Gomorra. "C’est une langue plus littéraire, plus théâtrale, qui vient des dramaturges comme Eduardo de Filippo, Raffaele Viviani ou Enzo Moscato, une espèce de Jean Genet napolitain, un génie. Mimmo Borelli, qui joue Don Guarino est l’un des représentants d’un nouveau théâtre napolitain. Toni Servillo a joué certains de ses textes", confie Igort.
Toni Servillo aime beaucoup se transformer : il a notamment joué Giulio Andreotti dans Il Divo, Silvio Berlusconi dans Silvio et les autres, des hommes qui sont très loin de son apparence physique. Igort avait ironiquement donné à Peppino un nez assez proche de celui de Dick Tracy, dessiné par Chester Gould dans les années 30 : une partie des traits d’un détective finit sur le visage d’un criminel. "C'était idéal pour Toni, qui avait envie d’un visage fort, très caractérisé : quelqu’un d’immédiatement reconnaissable comme le fut par exemple le grand acteur italien Adolfo Celi, que l’on a évoqué. Le maquillage et les costumes permettent à Toni de se faire oublier et d’entrer directement dans un personnage et une époque. Et puis il aime jouer les classiques de la tradition napolitaine et Peppino, à sa façon, en fait partie. Il a attendu quinze ans pour le jouer. Il y a aussi trouvé des choses proches du théâtre de De Filippo. Ou de Tchekhov, qui est un peu notre oncle à tous les deux", déclare Igort.