Avec une filmographie de qualité et d’excellence, Stanley Kubrick enchaine les succès. Il suffira de citer Shining, Barry Lyndon et Orange Mécanique pour appuyer cette lignée royale. Et au cœur de ce récit de guerre, le réalisateur vise essentiellement à reconsidérer l’antimilitarisme et dégage l’idée d’une violence fleurissante. Que ce soit au sein d’un groupe ou d’une société, on s’expose tôt ou tard aux limites émotionnelles qui font même régresser le plus sage et innocent de tous.
Deux parties se distinguent alors. Tout d’abord la formation au camp d’entrainement, puis l’entrée dans la Guerre du Vietnam. Sur le premier point, Kubrick soulève l’acharnement physique et morale qu’endurent les enrôlés. A l’image du sergent instructeur Hartman, très convaincant, les jeunes recrues façonnées par l’adolescence d’une vie paisible en bavent. C’est avec fermeté et rationalité qu’on jette ces « gamins » dans la fosse, communément appelé « réalité ». La guerre est inévitable et on part de ce constat, bien que le discours à son sujet ne trouve satisfaction que par la suite. On passe donc un moment dans l’internat du risque, où chacun doit s’adapter au rythme imposé. Les faibles sont écrasés, tandis que les plus coriaces se contentent de subir le revers de ce handicap. On construit ainsi la figure de groupe, d’une équipe, d’un système qui évolue vers l’instinct grégaire, doux reflet de l’époque jusqu’à nos jours. Mais il arrive que l’on sorte du lot, qu’on se renferme sur soi. A partir de cet instant, on doute de son identité. On recherche un objectif aisé, afin de triompher et de baigner dans la gloire personnelle.
L’instructeur reflète quant à lui, le travail marketing qui pousse à la violence. Il emploie d’ailleurs cette « compétence » afin de greffer sa philosophie du combat. La troupe résonne à l’unisson et pèse sur notre conscience. Le montage est au rythme des pas et des chants patriotiques. On y insère un langage souvent vulgaire mais toujours compréhensible. Rien ne flirte avec l’excès, tout est calculé avec justesse. On y crée ainsi des bêtes assoiffés de sang, mais où est la légitimité dans tout cela ? Quelles sont les limites et les conséquences ?
Vient alors le déménagement sous les tropiques. Le réalisateur met en avant l’occupation parfois confuse des Américains sur place. La communication et les relations avec les civils en disent long sur l’état d’âme des soldats formés. Dans la continuité de ce qu’on a pu voir dans le premier acte, il est assez logique d’évoquer en quoi la peur est au centre du sujet. Les soldats sont présentés comme des machines de guerre, car dépourvu de consciences. Ils sont déshumanisés au plus haut point, à l’exception de certains qui conserve une combattivité qui rime davantage avec « vouloir la paix » qu’avec « imposer la paix ». L’environnement ne se prête pas à la violence conventionnelle, car les batailles sont majoritairement gagnées par les troupes occidentales. Mais alors quel est l’intérêt d’une guerre qui n’a pas su être gagnée ? Toute la réflexion se porte sur l’utilité des forces présentes. La folie et la violence guident la foule, mais elles s’avèrent nécessaire dans ce système qui convoite la paix. On vend alors davantage l’image des « héros de guerre ». L’entrainement en fait des surhommes, alors qu’il ne fait que détruire de plus en plus son objectif. Il faudra attendre le dénouement pour remarquer une métaphore du vice et de l’enfer sur Terre. Tout serait à prendre au sens propre, car comme ils le disent si bien dans l’intrigue, nous y sommes déjà dans un monde merdique !
« Full Metal Jacket » translate de nouveau l’attrait de la violence, si chère au réalisateur. Il met au défi l’humanité face à sa conception de la paix et de son système. On aurait l’impression de tourner en rond, mais l’œuvre incite à la réflexion, tout en délimitant la zone d’indépendance morale qu’il nous reste. Une bonne surprise qui joue sur la subtilité des discours, parfois bavards, parfois muets.