S’il me manque pas mal de films du cinéaste au compteur, une chose m’apparait pourtant clair jusqu’à maintenant : M Night Shyamalan est un drôle de cas. Ses films ont souvent clivés, des réceptions extérieurs jusqu'aux lignes mêmes de ces œuvres : *Phénomènes* et sa force intérieure soutenue de manière bancale, ou les sublimes *Signes* et *Le Village* qui semblent bien cacher leurs forces avec grâce. Mais une chose est sûre : c'est bien la force guérisseuse de son œuvre qui s'impose au devant de la scène selon moi. C'est là que Shyamalan transcende ses pas et devient l'un des cinéastes modernes les plus touchants. C'est la guérison d’une famille dans *Signes*, d'un couple dans *Phénomènes* ou d'une communauté dans *Le Village*, face aux évènements inexplicables. Bien que cette thématique est surement à son apogée dans la période 2000's du cinéaste, elle n'est pas exempt de refaire irruption. C'est à partir de là peut-être qu'il est intéressant de voir son dernier film en date *Old* qui condense force et doutes.
*Old* n'est pas un mauvais film, loin de là quand on y regarde bien. Il est simplement bien étrange ! Etrange de sa construction bien plus proche de la série B que du film hautement « crédible » certes (et Shyamalan est fan de cette ambiguïté), mais étrange aussi car il subit au même titre que ses personnages le terrible coup de fouet du jeu temporel de cette mystérieuse plage où le temps s'accélère. C'est une vie qui voit le jour, et ce sont d'autres qui nous quittent. Les interminables vagues ramènent les fantômes, et au loin, le même horizon sans échappatoire déclenche avec férocité les balafres du temps. D'un jeu de montage ou de caméra étourdissant, ce sont des années entières qui évoluent. M Night Shyamalan tient quand même près de 50 ans de récit en un huis-clos ! Un geste aussi fou à voir qu'il pose inévitablement une certaine radicalité pour ses protagonistes, bien plus submergés par le regard vieillissant de leurs proches plutôt que par l'étrange vieillissement qui les frappe en lui-même. Le récit est d'ailleurs touché par cette radicalité de concept, et doit ainsi se réemparer totalement de ce simple espace (les drôles d'ellipses qui secouent ou agacent le spectateur). Cet espace – cette plage – est d’ailleurs lui-même comme décousu en son sein, entre les personnages qui se pressent, paniquent ou s’entretuent, et ceux dans une quasi-médiation, laissant le temps coulé en attendant le retour d’un visage tant aimé (Mid-Sized Sedan interprété par Aaron Pierre). M Night Shyamalan semble manipuler sans repos l’intérieur de cette simple zone : l’étirer jusqu’à l’impossible suspension, ou la plier en 4 jusqu’au craquage intégral.
On comprend bien qu'encore une fois, Shyamalan ramène à la surface des peurs profondes : la vieillesse, l'inévitabilité de la mort de ceux qu'on aime. On pourrait parfaitement affirmer que *Old* est le film le plus triste de son auteur, et que sa force guérisseuse d’antan se rangerait loin derrière : cette scène aussi effrayante que bouleversante du corps d'un nouveau né enveloppé dans un drap, et rendu poussière en l'espace de quelques minutes. Mais cette fameuse force remplie d’espoir, marquant au fer rouge le cœur du cinéma de Shyamalan, est pourtant toujours là, comme retranchée derrière ces immenses rochers qui étourdissent les personnages. Elle est là pour rétablir l'anomalie d'un plan par exemple : un premier traveling horizontal en début de film fracturant nettement Prisca (Vicky Krieps) et Guy (Gael García Bernal), avant que le second ne finisse en fin de récit par faire rejoindre le couple sur la plage, au moment même du dernier souffle. S’il y’a bien une chose dans *Old* qui perce tout mystère d’un coup aussi tranchant que profondément touchant : ce sont les sentiments même !
En étant clairement imparfait, *Old* serait peut-être le cousin de *Phénomènes* : sa partie finale est ratée; l'écriture de certaines situations laisse peut-être à désirer; s’il chamboule parfois, il semble aussi bâcler le récit à d’autres moments. Nombreuses sont surement les choses à reprocher au film, mais il est évident qu'avec *Old*, M Night Shyamalan expérimente le principe même de ses peurs intérieures qui se matérialisent d'un seul coup. Délaissant tout surplus extranaturel qui viendrait parasiter son concept originel, il ne s'affirme finalement que comme un accompagnateur et saisisseur de l'effroi et des larmes. Son rôle de chauffeur et de mystérieux surveillant s'établissant au loin pour surveiller les protagonistes piégés ne vient évidement pas du hasard. *Old* est un bien film aussi étrange que terriblement fort !