Pour son grand retour après un éloignement des écrans de plus de dix ans (si on excepte la série ‘Top of the lake’), Jane Campion rompt radicalement avec ses thèmes de prédilections habituels puisqu’après tant des films tournant autour de la quête d’émancipation de figures féminines, elle accorde ici son attention, dans un Montana des années 20 qui n’a pas changé depuis des décennies, à des personnages majoritairement masculins : Phil, riche propriétaire de ranch machiste et brutal, vit très mal le mariage de son frère George, plus raffiné et sociable que lui, et l’arrivée au ranch de sa femme Rose et de Peter, le fils chétif et efféminé de celle-ci. Avec une telle configuration de départ, on s’attend à suivre un film sur la masculinité toxique qui aurait simplement changé de contexte et d’époque et, soyons honnêtes, c’est à peu près ce à qu’on aura droit…mais avec des nuances importantes et surtout, une complexité et une attention portée aux non-dits et aux courants souterrains qui définissent des protagonistes bien moins unidimensionnels que prévu, qui éloignent ‘The power of the dog’ du banal réquisitoire. Evidemment, avec des acteurs de cette trempe, il est de toute façon beaucoup plus simple de concocter quelque chose de brillant, même avec un canevas de départ qui présente toutes les apparences du conformisme et de la prévisibilité, et il y a fort à parier que l’affrontement indirect entre une Kirsten Dunst cabossée par la vie et un Benedict Cumberbatch qui suinte la haine et le mépris envers tout ce qui n’est pas lui n’aurait pas aussi bien fonctionné avec d’autres acteurs. Il y a surtout que ‘The power of the dog’ évolue sur plusieurs dimensions successives et parfois simultanées : le somptueux western immobile de la première demi-heure, le huis-clos mélodramatique anxiogène de celle qui suit, dont on se demande instinctivement s’il ne va pas prendre la forme d’un triangle amoureux contrarié…mais Jane Campion parvient à esquiver les solutions trop évidentes, et la preuve en sera apportée lorsque Phil, après en avoir fait l’incarnation de tout ce qu’il méprise, décide d’utiliser l’arme ultime pour parachever la destruction de sa belle-soeur…et c’est également à ce moment qu’on commence à obtenir confirmation des soupçons qu’on nourrissait sur les sources de la cruauté perverse de Phil. Dans ce film qui progresse à un rythme faussement tranquille vers une conclusion qu’on devine dramatique (même si ce ne sera pas forcément celle à laquelle on s’attend), les différentes alliances se font et se défont, pour de nobles ou d’abjectes raisons, et chaque mot, chaque regard aura son importance dans ce récit qui, pour une fois, assume sa durée assez longue. Tiendrait-on enfin la grande production Netflix 2021 aussi réussie que “si elle n’avait pas été produite par Netflix ?”