Fermée depuis 2018, la prison des Baumettes, à Marseille, était réputée comme étant la pire de l’hexagone. Les conditions de vie y étaient si difficiles qu’elles avaient été qualifiées d’« inhumaines », en 2012, par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. La permission accordée à Jean-Robert Viallet et Alice Odiot d’y introduire leur caméra pendant une durée de 25 jours semble donc assez étonnante. Cela n’a d’ailleurs pu se faire que grâce au soutien de l’ancienne directrice des Baumettes, Christelle Rotach, qui a ainsi voulu montrer aux juges ce que signifiaient concrètement les peines de prison qu’il leur arrivait de prononcer. C’est tout à son honneur. Il serait même souhaitable que cette initiative soit appliquée à toutes les prisons françaises, puisque toutes ont, au minimum, le gros désagrément d’être surpeuplées. Les juges seraient peut-être davantage enclins à prononcer d’autres peines que des peines d’emprisonnement s’ils avaient la possibilité de voir les implications concrètes d’une incarcération.
Les cinéastes de Des Hommes ont non seulement pu filmer la dégradation, la vétusté, la saleté des lieux, mais ils ont pu rencontrer des détenus, les laisser s’exprimer ou les montrer lors des différents moments de leurs journées, y compris lorsque certains d’entre eux devaient comparaître devant un conseil ou être sanctionnés pour l’une ou l’autre faute commise (possession d’un téléphone portable ou de drogue). Le film donne à voir ou plutôt à entrevoir des bribes des vies des détenus essayant, tant bien que mal, de s’adapter à un environnement malsain, complexe, violent. On peut en ressortir quelque peu frustré car, bien évidemment, ce qu’on voit à l’écran, ce que montrent les réalisateurs, ce ne sont, en quelque sorte, que des parcelles d’une réalité qui nous échappe.
Néanmoins, cela suffit pour qu’on s’interroge encore et encore sur le bien-fondé des peines de prison. Aux Baumettes, explique un détenu, il faut, dès le début, donner aux autres l’impression qu’on est fort, sans quoi on risque d’être rapidement écrasé. Les violences sont monnaie courante. Il y a eu des lynchages, soit au cours des promenades, soit au cours des douches. Certains détenus en sont morts. Tous les prisonniers, raconte l’un d’eux, apprennent à se fabriquer un couteau avec les moyens dont ils disposent.
Le film ne cherche pas à être exhaustif, il ne le peut pas, il se contente de placer au centre quelques prisonniers parmi d’autres. On constate que la plupart sont très jeunes et déjà récidivistes. Certains en sont à leur cinquième ou sixième incarcération, ils sont passés par d’autres prisons, en France ou à l’étranger. Ils proviennent tous, manifestement, de milieux modestes et ont sans doute connu l’échec scolaire. A la prison, la principale de leurs occupations, c’est d’aller en salle de sport pour y faire du culturisme. Le reste du temps, en dehors des rendez-vous avec le personnel pénitentiaire, des audiences, voire d’une partie de cartes, c’est l’ennui qui domine. Il faut passer le temps en fumant, en regardant la télé toujours allumée, ou en fixant un petit morceau de ciel par la fenêtre, le temps aussi, pour certains, de songer à des parents, une compagne, un ou plusieurs enfants… La vie est morne, en prison, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’aide pas à se reconstruire.