En Argentine, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement illégal. Dans la totalité de l’Amérique latine, où 300 millions de femmes vivent sans avoir le droit d’interrompre volontairement leur grossesse, c’est plus d’une par jour. En 2018, un collectif de femmes pour la légalisation de l’avortement a présenté un projet de loi pour la septième fois et cela dans un contexte particulièrement tendu : l’Argentine se trouve, une nouvelle fois, au bord du précipice, puisque 36% de la population, et 48% des personnes mineures, vivent sous le seuil de pauvreté.
C’est dans ce contexte que, pour la première fois, un groupe rassemblant les membres de divers partis s’est formé à la Chambre des députés afin de soutenir ce projet de loi. Après un débat historique de 24 heures, ils réussissent à le faire passer et à l’envoyer au Sénat. Juan Solanas explique : "Le droit à l’avortement est un sujet très controversé en Argentine, où l’influence de l’Eglise demeure très forte. C’est un débat qui divise littéralement le pays en deux sans tenir compte de la classe sociale ou du bord politique. Femmes d'Argentine dresse un portrait des femmes qui se battent pour ces droits fondamentaux et pose aussi la question de la place du féminisme et des Argentines dans un pays sur le déclin."
Juan Solanas a eu l’idée du film le matin où la Chambre des députés a approuvé le projet de loi. Trois jours plus tard, alors que le metteur en scène attendait que le Sénat rende son verdict, il a filmé les premières images des rues de Buenos Aires en se donnant deux principes directeurs :
"D'abord, affronter la réalité de front, ne pas intervenir mais enregistrer crûment et instinctivement tout ce qui pouvait passer devant la caméra. Ne jamais rien forcer, la caméra devant être une fenêtre à travers laquelle les participants puissent dire la vérité. Et surtout, ne pas faire un tract ou un pamphlet, dire la vérité, rien que la vérité, mais aussi, et c’est capital, ne pas faire une caricature de la partie adverse.De ce premier principe vint le second : adopter la méthode la plus simple pour capter la réalité tout en l’altérant la moins possible, une équipe d’une seule personne. Cela me permit d’offrir aux personnes que je filmais une intimité qui leur donnait l’opportunité de dialoguer pleinement avec la caméra. Tout a été mis en place par le biais de WhatsApp. Les rencontres étaient organisées en une heure ou en quelques jours et je devais alors me jeter dans un taxi avec l’équipement que je pouvais porter : un sac à dos, un trépied et de l’éclairage fonctionnant sur batterie."
Le documentaire a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2019.
Femmes d'Argentine commence avec le vote à la Chambre des députés suivi du processus juridique qui amène au rejet par le Sénat. Juan Solanas se rappelle : "J’ai parcouru 4 000 kilomètres en voiture pour rencontrer dans cinq provinces des centaines de témoins afin de faire le portrait des femmes fortes qui partagent cette lutte, unies et résilientes. La faction anti-avortement a peut-être gagné une bataille mais, tout comme Les Mères de la Place de Mai, les femmes d’Argentine n’ont pas abandonné. Leur détermination sans faille et leur combat plein de fougue nous remplissent d’espoir. Enfin, le film ne parle pas seulement de l’Argentine et de l’Amérique latine, mais pointe du doigt une situation mondiale. En Europe, le droit à l’avortement, qui existe depuis 40 ans, est remis en cause, que ce soit en Italie, en Espagne, où le parti Vox, ouvertement d’extrême droite et anti-IVG, vient d’être élu au Sénat et à l’Assemblée des Députés, mais aussi en Pologne, où le gouvernement souhaite le supprimer. Enfin, aux Etats-Unis, Trump a nommé à la Cour Suprême un juge anti-IVG dans le but d’affaiblir la jurisprudence Pro-Choix et de rendre l’avortement illégal."