Sélectionné officiellement à Cannes, hors compétition, ce film sud-coréen avait tout du pétard mouillé. En effet, que faisait cet inconnu à côté de Ken LOACH ou Pedro ALMODOVAR ? Ma première pensée a donc été qu’il ne fallait pas voir ce film. Certainement un truc auteurisant incompréhensible ou terriblement ennuyeux... D'autant plus que le premier film de ce réalisateur Man of will, était totalement inédit dans nos contrées.
Puis, je lis un premier article qui me promet un film d'action époustouflant où un chef de gang et un flic s'associent pour traquer un tueur en série. Je dois bien avouer que là, mon intérêt est piqué au vif. Etant un grand fan de cinéma coréen et ne le trouvant pas assez distribué dans ma nation pas encore confinée, je me dis qu'il y a peut-être matière à quelque chose d'intéressant.
Je vais donc sur Internet et cherche la bande-annonce. Je vois un montage dynamique, pour ne pas dire « bourrin » qui m'annonce un film d'action qui manquerait quelque peu de fond. Mais bon, je me dis aussi que les coréens produisant un cinéma parfois jusqu'au-boutiste, cela peut donner lieu à un long-métrage original. Après tout, The chaser n'était pas le meilleur film de Na HONG-JIN, tout étant d'une rare efficacité, que son film suivant The murderer répétera quelque peu. Et pourtant, il m'a littéralement assommé avec The strangers en 2016. Comme quoi !
Bref, je suis décidé à aller le voir et m'y rends la semaine de sa sortie, ne faisant pas confiance aux programmateurs des cinémas qui ne laissent parfois pas grande chance aux films pour trouver leur public. J'en ressors perplexe. Ai-je assisté à un gros film d'action, ou bien à un polar exceptionnel, comme j'en ai rarement vu ? Eh bien, il me faudra plusieurs jours pour me décider.
Car ce film est tellement riche visuellement et esthétiquement réussi qu'il a tendance, de prime abord, à éclipser son propos de fond, car il y en a un. Au-delà du pur prétexte de polar, le réalisateur, également scénariste, explore les méandres du mal. La vraie question posée par le film est : n'y a-t-il que le mal pour combattre le mal absolu ? La question mérite d'être posée. Comment poursuivre un « serial killer » ? Il reproduit quasiment toujours le même schéma, mais ne laisse entrevoir à la police aucun mobile. Il est donc impossible de déterminer la prochaine victime, ni le prochain lieu du drame, même approximativement. La seule solution est qu'un inspecteur de police aussi incorruptible que radical décide de s'associer avec la seule victime survivante du monstre : un chef de gang.
C'est là que l'histoire devient géniale puisqu'elle nous met face à deux personnages particulièrement intelligents qui ont le même but, mais pas les mêmes raisons d'y parvenir (le flic veut le meurtrier derrière les barreaux et le gangster veut se venger). Car Jang DONG-SU (fabuleux Ma DONG-SEOK), le chef de gang, est loin d'être un petit voyou bas du front. C'est un homme posé, calculateur, qui sait se montrer cruel et violent. Le flic est une sorte d'Eliot NESS perdu au milieu d'une police crétine et corrompue. Car une fois de plus, un cinéaste décrit sa police nationale de façon assez méprisante. La plupart des films coréens dépeignent leurs flics comme de sombres crétins, ou excessivement violents, mais jamais d'équilibre ou d'entre-deux. La radicalité de l'inspecteur Jung TAE-SEOK (Kim MOO-YUL) ne fait pas exception à la règle. Mais il est décrit comme un personnage se servant de son cerveau qui réagit implacablement et violemment surtout face à l'apathie de ses supérieurs. Le duo, une fois posé et présenté se met en mouvement et la relation devient passionnante.
D'autant plus qu'elle est mise en valeur par K, le tueur (déconcertant Kim SUGN-KYU). Car ce meurtrier, inspiré de plusieurs tueurs en série, est audacieux au point de s'aventurer toujours plus loin dans ses prises de risque. Mais pas par excès de confiance, comme c'est souvent le cas de ce genre de films ou d'affaires, mais par provocation.
Il agira d'abord par jeu, puis par colère vis-à-vis de ses ennemis. Mais il ne tuera pas bêtement ceux qui leur sont chers. Non, il provoquera une guerre des gangs pour mettre ces hommes en danger et s'en débarrasser.
Voilà pourquoi j'employais tout à l'heure le terme de « mal absolu ». Face à un tueur démoniaque, l'être humain normal ne peut avoir la réponse. Il faut qu'un être sanguinaire s'allie avec l'aspect le plus sombre d'un être vertueux pour avoir une chance de mettre fin aux meurtres perpétrés par K.
Mais cela, je ne l'ai vu, perçu, ressenti qu'après quelques jours. Ce film, auquel je repensais régulièrement, dans les jours suivants la projection, n'était finalement pas qu'un simple film d'action avec une scène de poursuite en voiture absolument époustouflante, mais bien aussi un film au scénario intelligent et qui pousse à la réflexion sur un sujet de société.
Mais enfin, la conclusion du film, elle aussi, m'avait laissé perplexe et, pour l'avoir revu en Blu Ray il y a quelques jours, je peux vous garantir aujourd'hui que je la trouve absolument géniale. Parce qu'encore une fois, elle est subtile et intelligente et reste en droite ligne avec la psychologie (oserais-je parler de philosophie ?) des personnages et de l'histoire dans tout ce qui a précédé. Une fois de plus, les coréens affichent cette qualité que je trouve primordiale, et qui manque cruellement aux films et aux séries en général : ils vont jusqu'au bout de leur sujet. Les films se terminent comme il doit se terminer !
Pas de happy end ou de fin ouverte, en suspend. Non, non, non, même si la fin est cruelle, dure et/ou violente, elle arrive !
Reprenez vos classiques : J'ai rencontré le diable, Bad guy, Dernier train pour Busan, A dirty carnival, Frères de sang ou bien sûr Parasite.
Ces films ne peuvent pas bien se finir et comme on n'est pas à Hollywood, ça se finit... pas bien !
Le flic, le gangster et l'assassin finissent comme ils le doivent. Merci pour eux et pour nous.