Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, a énormément changé, bien évidemment, depuis le temps de Victor Hugo qui y avait situé l’auberge des Thénardier, exploiteurs sans scrupules de la petite Cosette. Aujourd’hui se dresse un quartier sensible, comme on dit, mais, ce qui n’a pas changé, c’est la misère et ce qu’elle provoque en fait de frustrations et de désir de révolte. Ladj Ly, qui a lui-même vécu dans cette cité des Bosquets de Montfermeil, a été bien inspiré en plaçant son film sous l’égide du grand écrivain, tout en mettant en scène des réalités qui sont des spécificités de notre temps, à commencer par la facilité avec laquelle on peut, aujourd’hui, enregistrer des images volées sur la voie publique.
Contrairement à tant d’autres films qui ont eu pour ambition de montrer la réalité des quartiers sensibles mais sans réussir à se défaire de toutes sortes de clichés, Ladj Ly, faisant preuve de beaucoup de finesse, parvient à échapper à tous les pièges inhérents au sujet. Dans son film, sont présents des musulmans radicaux, des faux repentis, des caïds ayant pour chef un faux maire et, surtout, des bandes d’enfants désoeuvrés. Tous ces protagonistes semblent comme filmés sur le vif, au point qu’on n’a quasiment pas l’impression d’avoir affaire à des acteurs. La crédibilité des scènes n’est jamais prise en défaut.
Il en est de même avec les trois policiers de la brigade anticriminalité sur qui se concentre une bonne partie du film. C’est une des audaces de Ladj Ly qui, ayant lui-même passé son adolescence dans cette cité, pourrait être saturé de préjugés à l’égard de la police. Or il choisit délibérément d’adopter, dans de nombreuses scènes, le point de vue d’un des trois policiers, nouveau venu dans cette brigade et, de ce fait, découvrant des méthodes qui ne peuvent le laisser de marbre.
Le réalisateur décortique avec minutie l’enchaînement de circonstances qui conduisent finalement à un débordement de violence extrême. Tout commence par l’irruption, dans le quartier, de gitans en colère parce qu’un gamin, qu’ils supposent être de la cité, leur a dérobé un lionceau. C’est à partir de cet événement que les policiers sont amenés à intervenir auprès des enfants et c’est au cours d’une intervention musclée qu’a lieu une « bavure », un tir de flashball qui ravage le visage d’un garçon.
Or, le policier qui s’est rendu coupable de ce tir se rend aussitôt compte que la scène a été filmé par un drone. Pour lui, dès lors, une seule chose compte : trouver celui qui manipule l’engin et qui, par conséquent, détient la preuve en images de la « bavure ». Le gamin blessé, lui, peut attendre avant de se faire soigner, ce qui choque celui des trois policiers qui est nouvellement arrivé dans l’équipe. Mais la peur des images est plus forte que tout. Elle avait d’ailleurs déjà été signifiée dès le début du film à l’occasion d’un contrôle auprès d’adolescentes à un arrêt de bus. Cette peur-là annihile toute possibilité d’apitoiement. Un enfant blessé au visage compte moins que la nécessité de se protéger des images en les retrouvant et en les détruisant.
La colère n’a pas besoin d’autre chose pour surgir et se manifester sous des formes très violentes. L’affrontement a lieu, il est inévitable, mais, même sur ce terrain-là, Ladj Ly réussit, in fine, à échapper aux conventions.
Il suspend le temps, en quelque sorte, il nous laisse imaginer jusqu’où peut aller la révolte, mais sans éprouver le besoin de montrer le pire. Dans un film qui s’interroge avec pertinence sur le pouvoir des images, il était plus que judicieux, en effet, de ne pas filmer le plus épouvantable.