Les Apparences est l'adaptation d'un livre de Karin Alvtegen. Après son premier long métrage, La Vie d’artiste, la productrice Christine Gozlan a demandé à Marc Fitoussi s'il était intéressé à l’idée d’adapter un roman. "À ce stade, j’avais d’abord envie d’écrire d’autres histoires originales, mais j’avais dit à Christine que si je me lançais dans une adaptation, ce serait plutôt dans le domaine du polar, notamment avec une auteure que j’aimais beaucoup, Patricia Highsmith. Mais tous les droits de Highsmith étant détenus par Sydney Pollack, il était par conséquent difficile d’imaginer un tel projet. Christine Gozlan a néanmoins continué ses recherches et a découvert ce polar suédois qui pouvait ressembler à du Highsmith. Elle m’a demandé de le lire pour voir ce que j’en pensais. Je l’ai lu, j’avais des réserves, mais c’est justement pour cette raison que je me sentais libre de l’adapter à ma façon. Je me disais que je ne serais pas écrasé par le poids de la fidélité."
L'histoire du roman original se passe à Stockholm et ne parle pas du tout de la communauté d’expatriés français. C’est l’histoire d’une femme qui découvre que son mari la trompe, elle ne se résout pas à l’affronter et préfère passer par des chemins de traverse pour essayer de le récupérer. "Dans le roman, il y a déjà les envois de mails. Ce que je trouvais problématique, c’est qu’aucun contexte n’expliquait le silence de l’épouse vis-à-vis de son mari ni son impossibilité de concevoir une séparation. D’où mon idée d’inventer ce milieu d’expats grand bourgeois, la profession prestigieuse du mari… Ce côté milieu de notables fermé revêtait un aspect chabrolien qui me plaisait. La bourgeoisie de province française a aujourd’hui un côté très daté, poussiéreux, et je trouvais que le milieu en vase clos le plus excitant et contemporain était une communauté d’expats", confie Marc Fitoussi.
Le titre du film, Les Apparences, est décliné à tous niveaux : apparences conjugales, familiales, sociales, morales… et figure dans l’ultime dialogue de Benjamin Biolay. "Le film a été fait avec le titre de travail Valses de Vienne. J’avais peur de la fausse piste, que les gens puissent penser qu’il s’agisse d’un film en costumes sur Johan Strauss. Il fallait donc rectifier, mais j’aimais bien l’idée de valse qui symbolise la ronde des rapports entre tous les personnages. Chacun passe son temps à suivre les autres ou à être suivi. Les apparences, en effet, s’appliquent à chaque personnage, y compris les secondaires", explique Marc Fitoussi.
Les Apparences concernent aussi Vienne, ville d’apparat de la valse et des pâtisseries, mais aussi capitale du pays où se sont déroulés des faits divers sordides, sans parler du passé nazi. "Le choix de Vienne me permettait aussi un personnage comme Jonas. C’est le seul Autrichien avec qui Ève entre vraiment en contact et c’est un fou furieux. Cette communauté d’expats aurait pu être située en Afrique, ou au Brésil, mais ça m’aurait embêté que le monde “extérieur” à leur communauté puisse être représenté ainsi. Jonas incarne les aspects sombres de l’Autriche. Vienne dans l’imaginaire du cinéma, ça peut renvoyer aussi bien à Lubitsch ou Sissi qu’à Haneke ou Seidl", analyse Marc Fitoussi.
Internet est aussi un personnage du film. Marc Fitoussi montre tous les aspects de ces nouvelles technologies, à la fois outil pratique du quotidien et terrible instrument de surveillance et de manipulation. "C’est par la technologie qu’Ève découvre qu’elle est trompée et c’est par le même outil qu’elle veut se venger. De ce point de vue, le film est fidèle au roman. C’était casse-gueule de mettre ça en scène, mais Karin Viard m’a vraiment épaté : jouer seule face à un ordi, s’effondrer, puis se reprendre, jubiler de sa vengeance, tout cela en temps réel, c’était admirable. Il y avait un vrai plaisir de cinéma à l’observer dans ces moment-là, comme quand elle cherche et découvre le mot de passe de Tina. Dans le film, j’introduis internet avant les histoires conjugales d’Ève, comme au début où elle dialogue par Skype avec sa mère. Internet, Skype, les mails comptent énormément pour les expats qui vivent loin de chez eux et ont besoin de se rapprocher de leurs familles et de leur pays."
Le sous-texte “lutte des classes” n’est pas le coeur du film mais c’est présent et Marc Fitoussi l'assume complètement. "Je reviens sur les difficultés de financement : les partenaires financiers considéraient que Les Apparences était un film de genre mais ce qui leur posait question, c’est qu’ils pensaient que le film ne traitait que de “problèmes de riches”. Il y a pourtant une opposition de classes larvée dans cette histoire, mais ça leur échappait. Peut-être que cet aspect ressort mieux dans la mise en scène qu’à la simple lecture du scénario ? Dans une scène, Jonas se penche pour ramasser une pièce dans la rue : c’est un petit détail, mais qui souligne sa classe sociale. À côté de ça, Ève balance billets et pourboires à tire-larigot. Mais à la fin, elle n’oublie pas de collecter les billets tombés à l’eau, ce qui dit aussi quelque chose d’elle et de ses origines modestes."
Marc Fitoussi a pris beaucoup de plaisir à dessiner tous les codes et signes extérieurs de la haute bourgeoisie. "C’est un aspect chabrolien, ou buñuelien, si on pense à un film comme Le Charme Discret de la Bourgeoisie. Pascale Arbillot fait merveille dans ce registre, elle incarne parfaitement la grande bourgeoise. Quand Ève revient à la fin dans le salon de coiffure, ça me faisait penser à Mme de Merteuil qui se fait huer dans le théâtre dans Les Liaisons Dangereuses de Stephen Frears. J’ai toujours accordé de l’importance aux personnages secondaires et je me suis régalé à croquer toutes ces figures bourgeoises. Je pense aussi à madame Belin incarnée par Evelyne Buyle. Adhérente assidue de la bibliothèque où travaille Ève, elle passe d’abord pour une pot-de-colle mais se révèle comme ces personnages chez Goldoni, toujours en arrière-plan mais qui détiennent pourtant la vérité de l’histoire."
Le film évoque Hitchcock, Chabrol, Buñuel, mais aussi Demy qui est expressément cité, ou Truffaut, mentionné plus discrètement par la ligne de dialogue “je vous présente Pamela”. Les Apparences n’est pourtant pas très truffaldien, à part peut-être certains aspects qui rappellent La Peau Douce, une oeuvre qu'adore Marc Fitoussi. "C’est marrant d’évoquer Truffaut parce qu’on a coupé au montage une séquence devant un feu de cheminée qui faisait penser à La Sirène du Mississippi. Après, je ne tourne pas en pensant explicitement à des références. On vient de me rappeler que Blue Jasmine de Woody Allen se termine sur un regard caméra de Cate Blanchett, comme celui de Karin Viard. C’est un film que j’avais beaucoup aimé et qui présente quelques similitudes puisqu’il s’agit aussi d’une femme qui a peur de perdre son rang. Voilà une référence inconsciente."
Marc Fitoussi a collaboré avec Bertrand Burgalat pour la composition de la musique du film. "L’idée était de faire une bande originale hollywoodienne à l’ancienne. Au départ du montage, j’avais placé des musiques témoins, ça allait de Ennio Morricone à Bernard Herrmann, ce qui plaçait la barre très haut pour Bertrand et l’intimidait. Mais il a carrément relevé le défi. Il a donné une grande homogénéité à la BO qui instaure dans le film une couleur précise sur toute la durée, qualité de plus en plus rare maintenant que de nombreuses BO sont des compilations de musiques existantes."