Ce film illustre parfaitement les effets dévastateurs de l’éducation sectaire apparentée au harcèlement psychique. Le personnage principal est marqué par la maltraitance paternelle parce qu’il a été clairement éduqué non pas dans l’amour du père et de la mère, mais plutôt dans l’asservissement en profit d’une cause ou d’une idéologie de laquelle il n’a pas le droit de s’échapper en tant que fils. La filialité est ici un piège, une impasse: tu dois le respect obéissant à ton père, même mort, sa femme prendra le relais en étouffant son amour maternel. C’est un cercle vicieux qui anéantit les individualités. Faire des enfants au XIXe siècle dans les communautés protestantes rigides relevait quasiment de l’œuvre religieuse, du service à Dieu. Ce n’est pas un thème nouveau en Scandinavie ou en Allemagne du Nord ; ce refus du communautarisme et du sectarisme a souvent été condamné par des grands écrivains comme c’est le cas de l’auteur à l’origine de ce film. Souvenons-nous par exemple de ce film exigeant intitulé le ruban rouge dont l’intrigue se passait en Prusse orientale juste avant la montée du National-Socialisme. La violence psychique des adultes protestants sectaires vis-à-vis de leurs enfants y ressortait également très bien.
Ce matraquage qui se produit dès la petite enfance jusqu’au moment où le fils devenu adulte doit suivre le chemin tracé par le père omnipotent conduit à une situation inévitable : ça passe ou ça casse ! Dans le cas de Per-Andreas, ça va casser. Si on est honnête avec nous-mêmes, nous qui sommes des spectateurs du XXIe siècle avec des avancées et des progrès sociaux colossaux en terme d’éducation et de vie de couple, nous ne pouvons qu’éprouver de l’empathie pour Per. Il a été broyé, modelé. Si ses parents avaient des enfants pour les aimer à grandir et à devenir eux-mêmes, Per aurait pu s’en sortir. Mais l’acharnement n’a aucune limite, le diabolique s’installe plutôt dans les ultra-religieux qui ne jurent que par la foi et finissent par déboussoler leur enfant qui recherche un autre avenir. Sauf que sa famille lui refuse la légitimité de ce choix personnel. Elle revient sans cesse à la charge!
Chacun devinera facilement en regardant le film l’objet qui revient comme un leitmotiv pour agripper Per , le tirer à nouveau dans cette caverne de l’obscurantisme. La dernière scène le dit de manière claire : Peter prononce le mot vengeance. Mais qui se venge de qui?
Pendant un certain temps, j’ai tout de même un peu craint le cliché antisémite habituel du XIXe siècle. Bien sûr, le fait de décrire la communauté juive de cette manière est également aussi sensé nous montrer comment la population danoise ressentait les choses. Cela fait partie de la fresque sociale que veut nous peindre l’auteur. Au final, c’est tout de même la communauté juive urbaine de Copenhague qui va s’en sortir le mieux dans le film : quelque part on ressent aussi une forme de communautarisme, on sent bien que les parents veulent avoir l’ascendant sur leurs enfants devenus adultes en contrôlant leur vie, leurs amours et leur destin. Ce n’est pas fondamentalement différent. A la fin l’ouverture d’esprit et l’amour filial l’emporte dans la communauté juive : les parents acceptant le désir très particulier de leur fille. Il reste à regretter que l’argent dans les milieux juifs décrits dans ce film ne pose aucun problème: Une fois de plus, le mot crédit est prononcé à côté du mot juif. Les juifs sont bourgeois, versés dans les questions économiques et industrielles, savent s’entourer des personnes importantes pour la bonne conduite de leurs affaires. Il faut reconnaître que ce sont les catholiques très minoritaires au Danemark et cette jeune femme juive qui s’occupent des actions caritatives dans les rues misérables des cités ouvrières. Mais les catholiques rejettent la juive, chacun a sa place! Heureusement, il y a au moins un pasteur qui donne l’impression que la foi protestante luthérienne danoise peut encore avoir un visage humain, compatissant et compréhensif.
Le film pose des questions existentielles majeures : pourquoi fait-on des enfants ? Qu’est-ce que l’amour paternel ou maternel? Quelle place doit avoir la foi dans la vie d’une famille ? Mais la plus importante question reste de savoir si la société doit obligatoirement fonctionner sur la base de la hiérarchie, du pouvoir excessif et de l’embrigadement. Pour certains, et c’est la majorité dans le film, quelle que soit la condition dans laquelle tu nais, ton salut n’est possible que dans le respect des règles imposées par ta communauté, que ses règles soient sévères ou non. Le problème de l’éducation autoritaire et faussement discrète comme aiment à le dire certains parents qui font mine de souffrir à ne pas montrer leur vrai amour filial, nous est parvenu jusque dans les années 1960 et 1970 sans lesquels il n’y aurait pas eu de progrès manifeste dans le regard que l’on peut avoir des enfants. Que des familles où les liens se sont brisés entre parents et enfants, où l’amour s’est transformé en haine, où l’envie de s’échapper pour pouvoir respirer brise les liens! Dans ce film, L’acharnement et le retour à la case départ ont raison du personnage principal : ou tu cèdes et ta vie s’en trouvera facilitée, ou tu ne plies pas sous la pression exercée par toutes les formes d’autorité, et tu finis dans une cabane avec tes souvenirs chaotiques pour seuls compagnons de vie. Le choix qu’il a fait est brutal mais on le comprend car il est malade malgré lui. C’est pour cette raison que l’on apprécie à sa juste valeur la dernière scène entre deux personnes respectueuses qui se sont aimés en dépit des carcans qui se sont interposés entre eux. À la fin, deux personnes s’écoutent mutuellement, se respectent, se comprennent, c’est un message d’optimisme.