La première chose à dire, c’est que la réalisation de Zhao est un sans faute. Elle filme au plus près les visages, les émotions, sans oublier de mettre en valeur les paysages à couper le souffle que traverse son héroïne. C’est la cohabitation permanente de l’individu face à l’immensité de l’espace. La musique, au piano, n’est utilisée que dans les moments où Fern roule, où elle marche, où elle contemple la nature. Le reste du temps, pas de musique, juste le bruit du vent, des insectes, de la vie. Zhao filme une héroïne cabossée, au visage marqué, qui vit sa vie de femme dans un van minuscule et aménagé, et qui alterne les rencontres, les petits jobs ingrats avec la route. Ca dure presque 2 heures, on pourrait croire qu’on va s’ennuyer avec toutes ses scènes de vie quotidienne, tous ces moments de solitude et de silence, et bien pas du tout ! Ce n’est pas seulement grâce à la performance de Frances McDormand, c’est toute la démarche de Chloé Zhao fait donne ce résultat. Elle a choisi de ne pas embaucher d’autre acteurs que McDormand, tous les autres (et on en a la confirmation lors du générique de fin) jouent leur propre rôles, raconte leur propre histoire. On est donc à deux doigts du documentaire, on pourrait qualifier son film de docu-fiction sans que ça lui enlève quoi que ce soit en termes de qualités cinématographiques. Tous ces gens qui entourent cette magnifique actrice ne jouent pas la comédie, ils n’ont pas à être crédibles ou pas, ils sont ce qu’ils sont à l’écran, ils parlent avec leurs mots de cette vie étrange dans laquelle il semble s’épanouir. Il n’y a pas à creuser beaucoup pour se rendre compte que cette vie de nomade n’est pas non plus venue comme çà, par pur choix. Maladie, chômage, deuil impossible, crise économique, frais médicaux exorbitants, tous ont une raisons d’avoir choisi cette vie mais aucun ne se plaint. Il y a une solidarité et une humanité qui saute aux yeux, elle est sans doute propre aux gens qui vivent un petit peu à la marge. Il n’y a aucun misérabilisme dans « Nomadland », pas une larme. Enfin si, juste une à la toute fin, lorsque Fern retourne dans sa ville devenue ville fantôme. La pudeur avec laquelle Zhao filme ces gens saute aux yeux et touche en plein cœur. Au milieu d’eux, Frances McDormand laisse parler son immense talent. Fern distille ses émotions au compte goutte, et Mac Dormand sait merveilleusement jouer ce genre de personnage. Elle accepte de se laisser filmer dans des situations qu’on ne montre pas d’ordinaire au cinéma (sur les toilettes) ou pour une actrice passé 30 ans (intégralement nue dans un torrent), elle donne à Fern 100% d’elle-même et même peut-être un peu plus. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler dans « Nomadland », il s’agit d’un road-movie, de rencontres successives, de petits boulots qui s’enchainent. Zhao filme une Amérique qu’on ne voit pas beaucoup au cinéma, celle des laissés pour compte de la crise de 2008, ceux qui ont des retraites minuscules et qui ne peuvent vivre que dans leur van. Il ne s’agit pas ici d’immenses camping car luxueux, mais plutôt de fourgons aménagés (parfois avec une remorque) minuscules, où on dort recroquevillé, sans isolation, où on cuisine sur une plaque unique et on mange quasiment au dessus. Tous ces gens sont à la merci d’une panne moteur qu’ils n’auraient pas les moyens de payer et qui les laisseraient sans rien du tout, pour le coup.
Fern, à deux reprises, est hébergée dans une maison. Chez sa sœur d’abord (pour lui emprunter de l’argent), chez le fils de son ami Nick ensuite. Les deux fois on lui propose de rester, les deux fois elle décline et part aussi vite qu’elle peut.
Il y a dans cette vie de nomade pas seulement de la précarité, il y a aussi une forme de liberté qui semble lui convenir, qui semble leur convenir à tous. « Nomadland » est un film qu’il faut voir si on veut comprendre un petit peu cette Amérique qui nous semble parfois si étrange. Dans ce pays sans filet social, sans Sécurité Sociale, qui a érigé la Liberté comme vertu supérieure à toutes les autres, il est entendu qu’elle a un prix. Nous, ici, n’imaginons pas payer ce prix là. Là-bas, dans le Middle West, dans l’Amérique de 2021, c’est différent. Ce qui peut déconcerter le spectateur français peut aussi l’interpeller et le toucher. C’est le cas avec « Nomadland »