Chloé Zhao, d’origine chinoise et vivant aux Etats-Unis, signe avec Nomadland un film d’une ambition cachetée d’indépendance avant de passer, plus tard cette année, au moins indépendant Marvel « The Eternals » pour le compte de la Walt Disney Company. Compagnie dont le catalogue comprend Nomadland depuis le rachat de la 21st Century Fox en 2019.
La « ville d’entreprise » Empire, Nevada où vivaient Fern (Frances McDormand) et son mari a été reléguée au rang de « ville fantôme » depuis la chute de l’entreprise minière à l’origine de sa fondation. Nomadland évoque cette époque passée, par une sédimentation des souvenirs qui convergera vers le motif mémoriel d'un jardin allant jusqu'aux montagnes, tout en suivant l’année de Fern sur les routes du grand Ouest. Fern est alors devenue une veuve sexagénaire en proie à la solitude des souvenirs pour seul horizon, au coeur d’une Amérique des grands espaces arpentée par des hommes et des femmes nomades travaillant au rythme des saisons de la grande économie, des emplois et des rencontres "down the road".
"My dad used to say “What’s remembered lives.” I maybe spent too much of my life just remembering." - Fern
Quoi de mieux que l’autorité chaleureuse de Frances McDormand pour dresser le portrait de cette femme ayant fait un choix de bravoure, celui de partir, pour mieux décrocher une forme de liberté qu’il faut savoir assumer. McDormand ne brillera cependant pas ici tant dans le caractère assuré qu’on lui connaît que dans sa fébrilité devant les bribes de vies qui lui sont précieusement confiées par des hommes et femmes aux tempes grisonnantes. Fern est donc la caution narrative d’une fable documentaire plus large concoctée par Zhao. Fable documentaire car les autres personnages jouent, comme dans son précédent film The Rider, ce qui semblent être leurs propres rôles, sous leurs propres noms et dans leurs propres vies le long des routes parcourues pendant le film. Chacune de ces histoires, intimées à Fern avec plus ou moins de développements, sont autant de pierres ramassées qui finissent à un moment du film dans les flammes d’un feu de camp lors d’une soirée d’adieux.
Si le film montre certes comment Fern apprend à habiter d'elle-même des terres potentiellement infinies mais souvent cerclées de chaînes de montagnes, il nous laisse comprendre que les grandes entreprises comme Amazon mais aussi les business plus modestes (restaurations, campings etc) participent aujourd’hui à baliser ces grands territoires pour des « 60’s something » voguant de jobs en jobs souvent après un dépérissement économique les ayant poussés sur le bord d'une route plus figurée. Une conquête de l’Ouest rejouée avec une partition plus dans l'ère du temps. Le film encourage alors l’imaginaire du spectateur à poétiser ces nomades en « cow-boys » des temps modernes qu’il ne s’agit surtout pas tant de plaindre pour leur précarité que d’admirer pour leur liberté. On se retrouve alors désarçonnés car si Zhao parle de conditions sociales remuant les tripes, elle invite davantage, à travers l'histoire composée pour Fern, à s'attarder sur la capacité de ces personnes à dompter cette solitude et cette incertitude de la vie induites de toute manière pour tous, en tout temps et en tout lieu. Dès lors surgira, dans une contemplation constante, la beauté de ces nomades affectés mais non résignés qui ne sont pas pour Zhao un énième réceptacle artistique pour pointer du doigt un système déjà tombait des nues depuis un moment.
Par moments la caméra s’élance vers de subreptices essais malickiens qui, s’ils ne virent pas dans une poésie des images peu utile à la veine "documentaire", permettent cependant à la réalisatrice de composer une poésie des paysages bien à elle, des paysages pastels et à plusieurs strates (tout en haut le ciel, un soleil en puit de lumière, l'horizon, les grandes étendues, Fern et son van tout en bas) qui abasourdissent le pauvre mortel. Le montage est fait de séquences souvent courtes et d’ellipses maîtrisées qui démontrent la capacité de Zhao à garder le fil de l’histoire intact et bien tendu pour dessiner au cordeau le mouvement circulaire qui s’opèrera en définitif d'Empire, Nevada vers Empire, Nevada. Et dans un dernier plan, vers Empire, Nevada à nouveau ? Fern trouvera-t-elle ici un nouveau cycle de vie pour rythmer les années devant elle ?
"What the nomads are doing is not that different than what the pioneers did. I think Fern is part of an American tradition." - une connaissance de Fern
Au final Nomadland bouleverse et renverse de par ces tableaux des grands espaces et ces personnages qui les emplissent d'une solitude baignée d'une certaine plénitude derrière les souffrances et la douleur. Et cela finit par se répercuter au-delà de l'écran.