Nomadland
L’autre rêve américain… celui de la fraternité
J’avais découvert, comme beaucoup la chinoise Chloé Zhao, en 2017, avec un drame étonnant, The Rider. Avec ses 108 minutes – dont on aimerait qu’elles ne s’arrêtent jamais -, de road-movie, elle touche, non seulement 3 fois sa cible avec les Oscars de meilleure réalisatrice, meilleure actrice et meilleur film, mais aussi les cœurs par la simplicité et une sensibilité de chaque instant. Après l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle, dans les vastes étendues de l’Ouest américain. Entre Terence Malick et Ken Loach, ce pur chef d’œuvre est à voir de toute urgence. Une leçon magistrale qui fait du bien.
L'intrigue est tirée du livre Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century écrit par la journaliste Jessica Bruder, et publié en 2017. Pendant longtemps, elle a suivi plusieurs seniors devenus précaires (suite à la crise financière de 2008) ayant décidé de partir à la recherche de petits boulots, à bord de mini-vans. De son côté, Pour se préparer à son rôle, Frances McDormand a réellement vécu dans une camionnette pendant quatre à cinq mois et s'est déplacée à travers sept Etats des Etats-Unis. Et elle a réellement travaillé aux côtés de vrais ouvriers d’un centre de traitement des commandes chez Amazon, dans une usine sucrière, dans la cafétéria d’un parc touristique et en tant que responsable de camping dans un parc national. 6 mois d’un tournage qui s’est déplacé du Dakota à l’Arizona en passant par le Nevada, le Nebraska et la Californie. Ce merveilleux film a reçu le Lion d'or à Venise en 2020, deux Golden Globes et quatre BAFTA avant ses trois Oscars. Il dérange jusqu’en Chine où on a minoré ses récompenses, la réalisatrice n’y étant pas en odeur de sainteté, depuis qu’elle a parlé d'un pays où le mensonge était partout. Je ne veux pas trop en dire sur le film lui-même et vous le lisser découvrir comme je l’ai fait. Une merveille où poésie, mélancolie, quiétude et lyrisme tranquille se mêlent dans cet ode aux laissés pour compte de l’Amérique dans un film poignant et intense, mais qui sait éviter tout pathos et tout misérabilisme. Incontournable.
Après Three Bilboards, - qui lui vaut son deuxième Oscar -, l’extraordinaire Frances McDormand, que je suis avec délectation depuis 1996 et le Fargo des Frères Coen – elle est l’épouse d’Ethan -, son 1er Oscar de la meilleure actrice, récidive dans ce qui s’est fait de mieux sur nos écrans orphelins cette année. De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern et l’accompagnent dans sa découverte comme David Strathairn, Gay DeForest, Linda May… j’aurais aimé tous les citer tant ils sont justes et bouleversants, car ils s’avèrent l’un des points les plus forts de cette errance du quotidien. Quand on pense que le prochain film de Chloé Zhao – qui est seulement la deuxième femme, après Kathryn Bigelow, à avoir décroché l'Oscar de la meilleure réalisation -,.est un blockbuster des Marvels, Eternals – à sortir en novembre prochain -, on mesure non seulement son éclectisme mais aussi la reconnaissance d’Hollywood pour son immense talent. Pour elle, j’irai voir un film de super-héros. Mais, n’oublions pas qu’à sa manière, ce magnifique Nomadland est aussi une sorte de film de super-héros. Ceux de la misère et de la fraternité. Bouleversant.