Le problème avec ce film, c'est qu'il arrive après sa moisson d'Oscars, après tout ce battage médiatique, et qu'on s'attend donc à prendre une énorme claque... qui ne vient finalement jamais.
J'ai lu parfois qu'on rapprochait Chloé Zhao de Terrence Malick ou de Ken Loach, mais enfin Malick, lui, nous fait passer n'importe quel brin d'herbe pour un jonc d'or, et Loach, de son côté, dénonce l'ubérisation à outrance quand Chloé Zhao nous livre une pub géante pour Amazon...
Parce que, d'abord, les paysages, la forme, parlons-en : l'Ouest américain est un écrin royal qui explique d'ailleurs en partie l'acceptation de ces nomades à cette vie si précaire (c'est tout le discours de Swankie, justement, si je ne me trompe pas de personnage, qui explique à Fern qu'elle peut mourir après avoir assisté à un vol d'hirondelles ou je ne sais quoi..), alors que là, la réalisatrice nous fait des plans vraiment pas dingues, toujours assez ternes et gris, désaturés, même, avec 3 ou 4 fois le même plan du même cactus, des mouvements de caméra répétitifs dès que Fern prend la route (un lent pano qui termine en toute fin sur le van en train de rouler) , et des couchers de soleil à n'en plus finir.. Seul un magnifique plan de bison a réellement capté mon attention, mais le plan est malheureusement assez court.
Ensuite, le fond : force est de constater que l'ensemble est finalement assez creux. Passé le choc de la pub Amazon qui m'est restée en travers de la gorge, on s'attend à une critique bien sentie de ce monde ubérisé et excluant, mais les personnages ne sont pas creusés, on n'entrevoit jamais un soupçon de critique sociale ou politique. Alors d'accord, Chloé Zhao veut rester du côté de l'humain et rien que de l'humain, mais du coup, on n'entre en réelle connection avec aucun des personnages. À l'image de Fern qui ne s'attache à personne, on ne sait rien par exemple de ce Bob qui fédère tous ces nomades dans le désert, rien de Dave (et surtout pas pourquoi il s'attache autant à Fern, d'ailleurs..). Dans ce contexte où justement la solidarité est vitale, tout cela reste un peu superficiel. Frances McDormand garde en permanence une froideur, presque antipathique, qui nous empêche d'être à 200% avec elle. Son regard condescendant sur sa famille est assez révélateur, en fait, de son rapport aux autres: "Vous êtes des nases qui n'avez pas fait le quart de mon chemin intérieur, mais si je peux vous taxer 2300$, quand-même, ce sera pas mal"..
En bref, j'aurais adoré aimer ce film, et même à certains moments j'y ai cru, car oui, ce mode de vie PEUT sembler une voie à suivre (surtout après la période qu'on vient de vivre, un bon retour au strict nécessaire est séduisant), mais on sent trop le "trompe l'oeil" pour adhérer à fond au projet. Dommage. (Je précise quand-même, car il faut rendre à César (...) que certains spectateurs ont applaudi à la fin de la séance, avec des grands "Bravos!! bravos!!", comme quoi, les goûts et les couleurs...)