Une jeune étudiante, en proie à des visions depuis le décès de sa mère, s'installe dans une petite chambre de bonne, où les fantômes du passé viennent troubler ses nuits... Rêve, réalité, double fantasmé, cauchemar de ce qu'elle ne veut pas devenir ? L'effet miroir est poussé à son paroxysme, avec un soupçon de fascination malsaine. Edgar Wright construit son Last Night in Soho autour d'une identité visuelle très forte (les parallèles entre les deux héroïnes sont sublimes, chapeau aux monteurs et truquistes), le tout servi avec une BO appétissante (comme pour Baby Driver, mais dans un style oldy années soixante : un régal), avec une photographie qui nous laisse souvent muets (la première scène d'entrée au cabaret Café de Paris avec la danse en couple-trio, les scènes d'épouvante très bien filmées... On croit sans arrêt que la caméra devine ce que l'on voulait voir), et surtout avec un casting de talent qui a justifié notre déplacement : étant fan d'Anya Taylor-Joy et Matt Smith, ce n'est pas la diffusion catastrophique sur notre territoire (190 copies à peine...) qui allait nous arrêter, on est juste allé chercher notre film plus loin, en séance de minuit VO dans un modeste cinéma (qui nous a sauvé la mise)... Et cela en valait la peine. Les acteurs s'en donnent à cœur joie, à commencer par Thomasin McKenzie (oui, "la Juive" de Jojo Rabbit) qui est très convaincante : facilement identifiable pour les jeunes dames, ce qui rend le propos du film encore plus terrifiant, comme un Promising Young Woman qui aurait osé aller au bout de son sujet du viol, sans passer par la case humour : on subit avec elle la peur du traumatisme du viol, en pleine face. A ses côtés, qui choisir de mieux pour un rôle de fascination magnétique et captivante qu'Anya Taylor-Joy ? Celle dont on n'arrive pas à détacher nos yeux depuis The VVitch et The Queen's Gambit, déjà hypnotisés, continue de nous plonger dans cette ambiance détachée de toute réalité et pourtant jamais vraiment étrange, un entre-deux digne du rêve (cauchemar) palpable dans lequel Edgar Wright veut nous amener. On tique quand même sur un point :
l'appel à l'aide des fantômes dans le final
, ce qui revient à diaboliser le personnage de Sandie (agréable Diana Rigg, indissociable de Chapeau Melon et bottes de cuir), car on en arrive à ne plus savoir qui est la victime, pendant deux petites secondes, ce qui est assez gênant à concevoir. Heureusement que Ellie remet immédiatement les choses au clair en montrant qui est la vraie - et unique - victime du film. On adore croiser Matt Smith en méchant mac véreux, et le final nous convainc qu'on peut encore faire un film sur les femmes violées sans tomber dans le #MeToo (devenu malgré lui cliché). Last Night in Soho aborde avec justesse et puissance les thèmes du fantasme féminin, du rêve doré qui tourne au cauchemar poisseux, de l'horreur cachée dans ceux qui disent aux filles qu'elles ont "un joli nom" en ouvrant déjà leur braguette (scènes dures), de la douceur puis violence d'être un objet de désir... Que de jeux de miroirs, sublimés par la photographie à tomber par terre, par la BO délicieuse, par un Matt Smith en grande forme, par une Anya Taylor-Joy hypnotique (comme toujours), et par une Thomasin McKenzie très touchante.