« Il y a deux personnes en vous. Celui qui tue et celui qui aime. » (Roxanne Sarraut de Marais/Aurore Clément, Version Final Cut)
Remonter la rivière, descendre aux enfers : difficile de parler d’un film considéré de manière unanime comme un chef d’oeuvre absolu.
L’exercice est d’autant plus difficile qu’Apocalypse Now est effectivement et concrètement un chef d’oeuvre absolu, complètement intemporel, porté par des acteurs prodigieux et une réalisation millimétrée, le tout dans une narration lente mais riche et diablement intelligente, une succession de tableaux dénonçant, mais sans forcer le trait, l’impérialisme, le colonialisme, le patriotisme, la guerre, une certaine idée de la virilité et, surtout, la folie qui naît de ce mélange poisseux, sans oublier une pointe d’humour de temps à autre, forcément très sombre.
Cette folie censée être incarnée par un messianique et terrifiant Kurtz, sorte de Caligula camusien terrifié par l’absurde et souhaitant l’incarner pour susciter la révolte, est en fait présente à chaque image, dans l’absurdité d’une guerre perdue d’avance, dans la jeunesse sacrifiée, dans l’illusion d’un passé révolu, dans le brouillard qui obscurcit tout espoir, qui annihile tout fuite. On la suit, on la sent, elle suinte de partout et l’interprétation de Martin Sheen, prouesse d’acteur, nous la rend encore plus objectivable à travers son regard analytique, presque extérieur alors même que le film démarre sur une crise de delirium tremens dont il est victime, comme si la normalité du personnage ne pouvait s’exprimer qu’au milieu de la folie des autres.
C’est donc également une œuvre terriblement humaine, une galerie de personnages (exclusivement masculins pour la version originale), une quête initiatique, un boat-trip, une fresque qui dépasse largement le cadre de la guerre du Vietnam, esquissée par la caméra imparable de Francis Ford Coppola. La légende raconte que le réalisateur a fait pression pour obtenir la Palme d’Or à Cannes en 1979. On se demande pourquoi : Apocalypse Now vaut bien plus qu’un pauvre petit prix symbolique. Un chef d’oeuvre absolu, donc.