« L’horreur… L’horreur… » dernière et ultime réplique du film de guerre dément de Francis Ford Coppola qui vous reste en travers de la gorge. Ce film c’est Apocalypse Now, véritable claque dans le genre et certainement le plus grand film de guerre du Septième Art avec Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. Cloitré dans une chambre d’hôtel à Saïgon, le jeune capitaine Willard, mal rasé et imbibé d’alcool, se rappelle de ses faits d’armes au Vietnam. Et c’est alors qu’il est sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie la mission top secrète de se rendre à la frontière cambodgienne où sévit un ancien béret vert qui s’est détourné de l’autorité militaire américaine, le colonel Kurtz, afin de mettre fin à ses fonctions. Pour Willard commence alors un voyage qui le mènera dans l’antre de la violence et de la folie humaine. Sorti en 1979, Apocalypse Now fut dés lors considéré comme un chef-d’œuvre, un classique du cinéma, un film sur la guerre du Vietnam comme on en avait jamais vu jusqu’à présent car totalement différent de ce qui avait déjà été fait dessus. Bien sur il y a avait eu auparavant les films Le Retour d’Ham Ashby en 1978 et Voyage au bout de l’Enfer de Michael Cimino en 1979, autre chef-d’œuvre qui a par ailleurs raflé cinq Oscars dont ceux du Meilleur film et du Meilleur réalisateur pour Cimino. Mais comme je l’ai dit Apocalypse Now s’inscrit d’une manière très différente dans le genre du film de guerre et qui traite de celle du Vietnam. Le film de Coppola est certainement une œuvre qu’on ne pourra plus jamais réaliser tant elle est complexe et brillante et ne pourra jamais être égalée car impressionnante de perfection. Alors comment voir ou revoir Apocalypse Now aujourd’hui ? Dans le livre de Jean-Baptiste Thoret intitulé « Apocalypse Now, un cauchemar psychédélique », l’auteur développe toute une analyse fascinante sur le film et expose l’idée de comment nous pouvons revoir ce chef-d’œuvre : « Comme une superproduction quasi expérimentale qui a vu le jour au terme d’une genèse épique. Comme une odyssée rock et onirique, un road movie opératique qui s’inscrit dans le Vietnam de la fin des années 1960 mais le dépasse immédiatement. Comme un film-monde qui, sur les traces du 2001 de Kubrick, s’interroge sur les origines de la morale et de la violence, et dresse les hommes creux de T.S. Elliot face aux poètes guerriers des mythologies ancestrales. ». Analyse fascinante et surtout véridique qui donne terriblement envie de voir ou revoir ce film car il est vrai qu’Apocalypse Now est tous ça à la fois et peut-être encore plus. Le film de Francis Ford Coppola, certainement l’apothéose de son cinéma avec la trilogie mythique du Parrain, n’est pas un simple film de guerre sur le Vietnam, il est bien plus que ça et nous entraîne dans un voyage au cœur de l’esprit humain à la fois éprouvant et démentiel ! D’abord ce qui lui vaut son statut de film culte total c’est qu’il connut une « genèse épique » comme le dit Thoret. Initialement confié à Georges Lucas en 1971, futur réalisateur de Star Wars - Un Nouvel Espoir ou si vous préférez La Guerre des Etoiles, le film The Psycheldelic Soldier à la base, devait être produit par la société de Coppola. Il était censé être un petit film de guerre type survival tourné en 16mm et dont le scénario de John Milius s’inspirait librement du roman de Joseph Conrad « Au Cœur des Ténèbres ». Mais le temps passe et Lucas sort en 1975 American Graffiti et Milius devient l’un des scénaristes les plus talentueux d’Hollywood en signant notamment les scripts de L’Inspecteur Harry de Dion Siegel et celui de Conan le Barbare qu’il réalisera également. Tandis que Coppola acquiert une grande notoriété grâce au succès de ses deux premiers volets du Parrain qui lui valent les Oscars du Meilleur réalisateur pour Le Parrain II et du Meilleur film pour les deux. Et c’est donc en voulant réaliser « un énorme film de guerre » que le projet d’Apocalypse Now arrive dans les mains de Coppola en 1975 et toujours sur un scénario de Milius. Mais le réalisateur s’apprêtait à mettre les pied dans un tournage légendaire et le plus éprouvant de sa carrière pour livrer un film au final aussi dément que son tournage et à la beauté plastique ahurissante ! Initialement prévu pour seize semaine au Philippine, le tournage s’étendra sur 238 jours donnant ainsi lieu à de nombreuses péripéties des conditions climatiques déplorables qui ont détruit quelques décors, aux hélicoptères prêtés et parfois réquisitionnés par le dictateur Ramos, au renvoi d’Harvey Keitel remplacé par Martin Sheen qui sera victime d’une crise cardiaque à cause de la chaleur et d‘une grande consommation de tabac, à l’arrivée d’un Marlon Brando avec des kilos en trop et qui n’a pas lu le roman de Conrad, à un Dennis Hopper en roue libre paraît-il, et sans compter des dépassements de budget qui l’on élevé à plus de 30 millions de dollars, une somme énorme pour l’époque, et d’un Francis Ford Coppola ravagé par diverses drogues craignant que le tournage de son film n’arrive jamais son terme ! Bref, le tournage d’Apocalypse Now fut un enfer pour toute l’équipe du film et qui donna lieu à un documentaire sorti en 1991 et intitulé Au Cœur des Ténèbres : L’Apocalypse d’un Metteur en Scène d’après les notes de tournage d’Eleanor Coppola, la femme du réalisateur, et réalisé par Fax Bahr et George Kicklenlooper. Et au final malgré tous ces problèmes qui donnèrent ce tournage de légende, il en ressort un film sur la guerre du Vietnam dément, à la fois spectaculaire et terrifiant car s’interrogeant sur les origines de la violence et de la folie humaine où l’on entend « This is the end » des Doors, « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner lors d’une attaque d’un village vietnamien menée par des hélicoptères de combats. Le film sent le napalm, la sueur et le sang où les balles sifflent et les bruits des palmes des hélicoptères résonnent encore dans le cinéma. Apocalypse Now est décidément un véritable monument du Septième Art ! Le film possède un scénario certes simple dans le fond où l’on envoi un homme à la frontière cambodgienne tuer un ex-colonel qui est devenu complètement fou à cause de cette guerre, mais il n’empêche que le scénario peut être en même temps prise de tête avec le côté psychologique de la guerre et comme je l’ai dit le film est plus que ça et Jean-Baptiste Thoret l’explique parfaitement. Ce qui entraîne le spectateur dans cette odyssée vietnamienne c’est sans doute et d’abord la réalisation démente de Francis Ford Coppola qui livre des scènes d’anthologies comme la fameuse attaque du village vietnamien par le lieutenant-colonel Kilgore qui fait résonner du Wagner pour faire trembler l’ennemi et lancer une guerre « psychologique » comme il l’appelle. La scène de début où Willard est dans sa chambre d’hôtel complètement ravagé par l’alcool et revoit le Vietnam sous la musique des Doors est mythique ! Des explosions, du napalm, du mitraillage, des morts, des hélicoptères partout,… Apocalypse Now nous entraîne dans la violence des combats qui ont sévit durant la guerre du Vietnam de 1954 à 1975. La réalisation magnifique du réalisateur est épatante avec des plans couleur orangé mélangés avec du noir, des couchés de soleil sublimes, des paysages superbes, des plans brumeux angoissants, des scènes de batailles spectaculaires,… bref Apocalypse Now est une pure jouissance cinématographique tant c’est somptueux ! De plus et ce qui est encore plus fascinant c’est que le film s’attarde dans sa deuxième partie sur le coté psychologique de cette guerre avec les ravages sur les soldats américains. Et nous entrons en plein dans le sujet du film dans ce fascinant deuxième acte avec la venue tant attendue de Brando dans le rôle du colonel Kurtz. Le capitaine Willard se rapprochant de plus en plus du campement de Kurtz avec son patrouilleur, les ravages psychologiques et la violence se sentent car la représentation physique de cette violence et surtout de cette folie humaine qui sommeille en chacun de nous est le colonel Kurtz ! Le personnage est donc symboliquement présent durant tout le film jusqu’à sa vision physique interprété par Brando. L’acteur n’apparaît que très peu dans le film et il est à chaque fois caché par des ombres, nous ne le voyons jamais entier ce qui nous vaut des plans superbes sur le visage de l’acteur au crâne rasé qui terrifie car on dirait que l’homme présent sous nos yeux et ceux de Willard vie constamment dans les ténèbres. En fait le « Cœur de Ténèbres » du film qui fait référence au roman de Conrad, c’est le colonel Kurtz. Un homme autrefois colonel qui aurait pu devenir un grand général grâce à ses faits d’armes, ce qui lui vaut l’admiration du capitaine Willard même s’il doit le tuer. Le colonel Kurtz est un homme aux méthodes radicales : il tue, pend des hommes, décapite, possède une armée d’indigènes qui le vénère comme un dieu, le personnage de Brando est passé en quelque sorte vers le côté obscur de la guerre à cause des horreurs qu’il a vu au Vietnam et est devenu la représentation physique de ses violences. Apocalypse Now s’interroge donc sur l’origine de la violence de l’Homme et surtout de sa folie, le personnage de Martin Sheen finit par devenir comme Kurtz à la fin. Il se découvre sa face caché de violence qui sommeillait en lui, il a en quelque sorte fusionné avec Kurtz, fusion que l’on voit quand il le tue et quand il sort du temple et que l’armée du colonel s’agenouille devant lui. Willard n’est désormais plus le même homme. Apocalypse Now est donc un film sur la guerre du Vietnam mais aussi sur l’Homme, sur sa psychologie, sa violence et sa folie. Plus qu’un film de guerre, une odyssée aux confins de la psychologie humaine et sur les dégâts que peut causer la guerre sur l’esprit humain. En plus d’être visuellement somptueux, plein de réflexions métaphysiques et psychologiques, le film de Coppola s’accompagne d’un casting très très fort. D’abord Martin Sheen qui joue le capitane Willard, est juste incroyable dans son rôle et détient peut-être son rôle le plus mémorable au cinéma. La scène où nous voyons sa tête émerger des eaux à la fin du film pour aller accomplir sa mission vaut à elle seule le détour ! Ensuite Marlon Brando, tout a été dit sur son personnage mais l’acteur, malgré sa courte présence à l’écran, marque les esprits par son interprétation démente du colonel Kurtz, homme de guerre devenu psychopathe, rien que la vue de son crâne rasé vaut le détour ! Après il y a le brillant Robert Duvall, qui lui aussi apparaît peu mais marque le film de son empreinte dans le rôle du lieutenant-colonel Kilgore, fan absolu de surf, qui ordonne la fameuse attaque du village et sous le son de « La Chevauchée des Walkyries », juste anthologique, et dote le film d’une réplique culte qui vaut elle aussi le détour : « Vous sentez cette odeur ? Vous sentez cette odeur ? Le napalm fils. Ya rien d’autre au monde qui ai cette odeur là. J’adore respirer l’odeur du napalm le matin. Une fois ils ont bombardé une colline pendant douze heures et après je suis allé au résultat, on a pas retrouvé le moindre cadavre de Niac, rien, pas un seul. Seulement, cette odeur d’essence plein les narines sur toute la colline comme l’odeur… de la victoire. », l’acteur fut tellement génial qu’il reçut le BAFTA du Meilleur acteur dans un second rôle. Et enfin il y a Dennis Hopper en journaliste frappé, Laurence Fishburne et Fréderic Forrest en soldats américains et Harrison Ford en colonel. Sacré de la Palme d’Or en 1979, du BAFTA du Meilleur réalisateur et du Meilleur acteur dans un second rôle pour Robert Duvall, du Golden Globes du Meilleur réalisateur, du Meilleur acteur dans un second rôle pour Robert Duvall et de la Meilleure musique et des Oscars de la Meilleure photographie et du Meilleur son, Apocalypse Now est certainement le plus grand film de guerre du cinéma où le côté psychologique de ce violent conflit du Vietnam l’emporte sur l’aspect guerrier même du film et le tout accompagné d’excellents acteurs, d’une BO hypnotiques et d’une superbe réalisation. Apocalypse Now est un film de guerre puissant et je terminerais donc cette critique par les propos de Francis Ford Coppola lors d’une conférence de presse au Festival de Cannes en 1979 : « Mon film n’est pas un film. Mon film ne traite pas du Vietnam. Il EST le Vietnam. Exactement comme il l’était. C’était fou. Et la façon dont nous l’avons tourné était très proche de celle dont les Américains ont fait la guerre au Vietnam. Nous étions dans la jungle, trop nombreux, nous avions accès à trop d’argent, trop de matériel, et peu à peu nous sommes devenus fous. ».