Film-monstre : si ce terme doit exister, c'est bien pour Apocalypse now. Un tournage titanesque : plus d'un an de tournage, un acteur principal changé au bout de dix jours, ce même remplaçant qui fait une crise cardiaque en plein tournage (ce qui ralentit celui-ci) , des décors ravagés par un typhon, une star (Marlon Brando) beaucoup plus grosse que prévue et qui fait tout pour éviter de tourner, des hélicoptères prêtés par l'armée des Philippines qu'il faut repeindre chaque jour aux couleurs américaines, une dépendance à cette même armée qui peut quitter brusquement le tournage, un budget doublé... Un résultat monstre : un premier montage de 4h30 qui sera réduit à 2h30 avant d'être rallongé plus de 20 ans plus tard d'une heure dans la version Redux.
Apocalypse Now, récompensé au Festival de Cannes d'une Palme d'or (partagée avec Le Tambour de Volker Schlöndorff), est à la fois un film spectaculaire (dont la célèbre séquence de La Chevauchée des Walkyries est le moment le plus connu) et un voyage initiatique, le tout doublé d'une plongée progressive dans l'horreur et la folie dont l'humain est capable (on rase tout de même un village uniquement pour qu'un des soldats puisse faire du surf...). Le personnage du colonel Kurtz est un pur symbole de cela étant un haut gradé qui, bien que déifié par une espèce de secte, en arrive aux pires atrocités en attendant que la mort vienne le chercher. Malgré un tournage chaotique, Francis Ford Coppola arrive à donner une totale cohérence au résultat quelque soit la version diffusée. Les acteurs (un casting tout de même exceptionnel : Martin Sheen, Marlon Brando, Robert Duvall dans un rôle qui préfigure le Sergent Hartman de Full metal jacket, le jeune Laurence Fishburne, Dennis Hopper, Harrison Ford, Scott Glenn et, pour la version Redux, Aurore Clément et Christian Marquand) vivent complètement leurs personnages (Marlon Brando offrant même un des rôles les plus mythiques de l'Histoire du cinéma), les décors sont fabuleux, la reconstitution de la Guerre du Vietnam est très réaliste, l'équilibre entre l'action et la réflexion est parfait, le rythme assez lent n'ennuie jamais et sert le propos du film, la photographie est magnifique (que ce soit dans les couleurs criardes des fumigènes ou l'évolution progressive vers des teintes de plus en plus obscures), le montage n'hésite pas à oser des expérimentations (comme dans la séquence d'ouverture), l'utilisation de la musique est excellente (tout le monde peut associer Wagner et les Doors au film des années après l'avoir vu) et le film représentait une véritable innovation de l'utilisation du son en créant le 5.1 qui est désormais la norme. Le résultat est donc une date importante dans l'Histoire du cinéma et nous offre deux versions que chacun peut préférer pour des raisons différentes : la version de 1979 se concentre plus sur le principal propos du film (la plongée dans l'horreur) alors que la version Redux offre une narration plus fluide ainsi qu'une plus grande description de la vie des soldats américains (la séquence de sexe avec les Bunnys) et de l'histoire de la colonisation du Vietnam avec la fameuse séquence de la plantation française. Un chef-d’œuvre qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie.