D’aucuns pourraient penser le sujet légitime, mais il est regrettable de constater que les mots ne passent ni la porte de la rédemption, ni celle de la courtoisie. Le ton mélancolique et les larmes pleuvent à ne plus savoir comment apporter de la nuance ou une réelle évolution aux personnages, notamment chez les adolescents, encore influençables, mais également capables de tout, du bien comme du mal, dans l’inconscience ou dans l’indifférence. Stephen Chbosky adapte un succès de Broadway, qui a su générer toute la bonne empathie que l’on trouve au théâtre, dans un souffle immédiat et qui provoque l’interaction avec des sentiments forts. Mais lorsque l’on passe tout cela devant la caméra, c’est bien plus compliqué à convaincre, sachant que la narration s’éparpille et que la vedette tombe réellement d’un arbre.
Ben Platt rempile dans le rôle d’Evan, dont l’anxiété l’isole de ses camarades, à l’exception de l’ami geek Jared (Nik Dodani), qui lui offre d’ailleurs un tremplin pour une machination diabolique. Ce qui partait pour traiter les maux des lycéens d’aujourd’hui éclipse totalement son principal facteur, à savoir le suicide. Il s’agit d’une réalité troublante dans le monde, mais surtout aux Etats-Unis, dont le brassage culturel lui fait parfois défaut. Malheureusement, la seule culture explorée sera aspirée par les réseaux sociaux, dont on enterre rapidement l’exploit bénéfique de l’outil. Le jeune Evan confond l’hommage et la manipulation, à un degré que l’on ne peut cautionner, afin de discuter de cette profonde folie qui perturbe tant d’adolescents dans le rejet. Sans figure paternelle, ni maternelle si ce n’est que sa silhouette à la fin d’un tour de garde à l’hôpital, il retrouve le réconfort chez les Murphy, dont le fils Connor (Colton Ryan), a subitement mis fin à ses jours. Le cinéaste ne reviendra pas dessus, préférant se calquer au spectacle, dans la peine.
En vampirise le deuil de la famille du défunt, Evan s’offre une seconde vie et un nouveau visage, en contradiction avec la thérapie qu’il suit, sorte d’introspection que l’on ne parvient presque plus à coucher sur du papier. Pourtant, on le fait ici, très mal, mais on nous démontre que l’introspection passe par la parole, celle qui résonne chez des auditeurs attentifs. Hélas, nous nous retrouvons face à un constat qui accepte d’avance sa sentence, sans l’avouer aux autres, ceux qui souffrent encore de l’ivresse mélancolique. Cela paye le temps de quelques airs, dont les paroles peuvent inspirer ou libérer, mais ce ne sera jamais aidé par la mise en scène. On déambule dans des couloirs ou on réinvente une histoire d’amitié, toujours dans un excès de forme, qui mise sur le ton léger, comme pour adoucir une peine ou simplement distraire, avant que l’on ne remonte jusqu’à la supercherie. Le crédit accordé aux mères, interprétées par les vibrantes Julianne Moore et Amy Adams, ne suffit pas à investir un public, qu’il soit directement concerné par les faits dramatiques ou non.
Le réalisateur aura toutefois mieux exploré ce pendant de l’adolescent isolé dans « Le Monde de Charlie » et la malformation dans « Wonder », comme une alternative aux maladies chroniques. Mais dans le cas de « Cher Evan Hansen » (Dear Evan Hansen), il largue des chants aussi subtilement qu’un canadair. La raison est justifiée, mais son efficacité est à relativiser. Si l’on confie ce modèle comme inspiration, il n’assume pas suffisamment le contre-pied romantique et désabusé de jeunes, qui cultivent le mensonge pour satisfaire des désirs personnels. Ce qui sonnait comme une ode à la joie, d’une valeur antidépressive, est détourné en un mélodrame, sans saveur, ni sincérité. Le spectacle aura sans doute plus d’une raison de convaincre, mais pas sous cette forme insipide, ni sans son élan narratif.