Quand Jean Cocteau adapte une pièce de théâtre de Victor Hugo, le cinéma français aspire à une grande portée littéraire du cinéma. «Ruy Blas» (France, 1948) de Pierre Billon est l’œuvre d’un des plus grands écrivains français, Hugo, vue par le prisme d’un des plus grands poètes français, Cocteau. L’adaptation donne naissance à une œuvre obscure, menacée à chaque instant par la mort et traduit par une lumière sombre qui drape les décors fastueux et les costumes amples de pénombre. Cette présence immédiate de la mort est le fruit d’Hugo qui, dans ses récits, retrouvent l’Hadès antique. Elle est soulignée par le scénario de Cocteau qui, lui-même, fonde son cinéma sur la présence latente de la mort. Pierre Billon, pris entre ces deux monstres de la littérature, se contente d’être un habile technicien. Membre, peu connu, de la «qualité française», Billon n’a le mérite que de diriger avec sensibilité le trio d’acteurs du film : Danièle Darrieux, Jean Marais et Marcel Herrand. La tâche n’est pas inutile puisqu’il faut des acteurs puissants pour pouvoir exprimer toute la fougue qui règne dans la pièce originelle d’Hugo. Pris dans les brumes de la photographie ténébreuse de Michel Kelber, les acteurs se démènent et sourdent l’émotion de leur personnage. La réussite du film provient de la relation qu’entretiennent les acteurs avec leur éclairage. Certains des plans, ostensiblement dirigés par Cocteau, rappellent les plus belles images d’«Orphée». Le récit se trouve être de peu d’importance. «Ruy Blas» n’est déjà pas une des meilleures pièces d’Hugo, elle se voit être en plus amenuisé pour ne plus conserver que la structure narrative. Reste les visages, les expressions des faces et la tension fébrile des corps qui, tapis dans les obscurités des châteaux ou des auberges, exaltent une certaine véhémence. La place du double qui agit le cœur de l’intrigue, où Marais est Ruy Blas et Don César de Bazan, permet d’élever la dynamique du récit au rang de celle de l’image.