Les films de Wes Anderson sont reconnaissables entre mille. Sa manière bien à lui d’aborder avec son style décomplexé et sa dérision habituelle des sujets qui ne s’y prêtent pas forcément en font un cinéaste dont chaque nouvel opus attire l’attention. Son dernier long-métrage au titre éloquent consacré à sa vision de la France était attendu avec d’autant plus d’impatience. Le film est construit comme un roman qu’on parcourt avec un prologue, trois chapitres bien distincts et un épilogue et une voix off en guise de narrateur. Chacun des trois chapitres renvoie à une image que la France donne souvent d’elle-même à l’étranger : un pays qui favorise l’émancipation artistique, un pays qui entretient le culte de la révolte et un pays qui s’enorgueillit de sa richesse gastronomique.
Fidèle à son style, Wes Anderson pousse bien évidemment chacun de ces trois thèmes à son paroxysme. Il donne ainsi pour cadre au premier l’univers carcéral en y mettant à l’honneur un prisonnier condamné à une lourde peine qui se révèle être un artiste de génie utilisant notamment une de ses geôlières comme modèle pour ses compositions. Le deuxième chapitre est inspiré des événements de mai 1968 : une journaliste quinquagénaire sensée être impartiale et intègre a une liaison avec un jeune étudiant révolutionnaire qu’elle aide à écrire un manifeste revendicatif. Dans le dernier chapitre, la gastronomie française à la réputation universelle sert de prétexte à une enquête policière dans laquelle un commissaire de police part à la recherche de son propre fils enlevé par des malfrats qui réclament une rançon en échange de sa libération.
Wes Anderson saupoudre chacun de ces trois chapitres de décors aux tons pastel et à l’esthétique rétro qui se prêtent ici très bien à sa reconstitution de la France des années 1950 et 1960 et de sa touche de dérision personnelle : la ville où se situe l’action s’appelle Ennui-sur-Blasé, le café où se retrouvent les deux protagonistes de la révolte étudiante a pour enseigne « le Sans Blague » et le chef du commissaire de police se nomme Nescafier.
Un autre des tours de force de Wes Anderson est de parvenir à réunir un casting aussi riche constitué d’acteurs de renommée mondiale, de générations différentes et de nationalités très diverses (américaine, française, algérienne, autrichienne, britannique, irlandaise…) comme le cinéma en a rarement vus. Certains acteurs, tels Damien Bonnard, n’apparaissent d’ailleurs que quelques secondes à l’écran tandis que d’autres, à l’instar d’Hippolyte Girardot ou de Willem Dafoe, n’ont aucune réplique à leur crédit.
Mais à force de vouloir imprégner le film de sa marque, Wes Anderson finit par ne faire plus que du Wes Anderson. Les effets de style se succèdent et reviennent en boucle trop souvent : travellings avant, travellings latéraux, plans en surplomb, images figées, décors s’ouvrant sur les côtés de façon symétrique comme sur la scène d’un théâtre… L’alternance de la couleur et du noir et blanc, si elle peut sembler au départ une bonne idée pour guider le spectateur entre le présent et le passé, n’obéit en réalité pas à un code particulier et laisse perplexe. L’introduction de l’animation à certains moments du film finit de nous convaincre que le film part un peu dans tous les sens, même s’il est vrai que la course poursuite entre la police et les malfrats ayant kidnappé l’enfant reste un des moments les plus marquants du film. Enfin, la multiplication des personnages donne parfois le tournis.
On se lasse vite de cet exercice de style si bien qu’on ressort de la salle avec le sentiment que Wes Anderson s’en est donné à cœur joie pendant 1h 45 sans forcément chercher à donner une cohérence à l’ensemble et surtout sans nous livrer sa véritable vision de la France. « The French Dispatch » parait trop américanisé. Les trois chapitres restent in fine traités sous un angle très matérialiste : l’art est vu sous son aspect pécunier, la révolte étudiante se termine en histoire sentimentale et la gastronomie devient un appât pour malfrats. A force de privilégier la forme, Wes Anderson oublie de s’intéresser au fond. C’est pourtant là qu’était l’essentiel de notre attente au départ. Dommage.