La Nuit venue : les secrets du tournage

Cette romance entre une call-girl et un chauffeur de VTC immigré chinois est née de plusieurs facteurs. Le scénariste Nicolas Journet avait tout d'abord enquêté sur le métier de strip-teaseuse et découvert que beaucoup d’entre elles sont également call-girls et qu’elles ont toutes un chauffeur régulier. Le réalisateur Frédéric Farrucci explique :

"C’est comme ça qu’est née l’idée de l’histoire d’amour entre Naomi, strip-teaseuse et call-girl, et Jin, chauffeur de taxi. Ce qui m’attirait au premier chef dans cette romance était qu’elle se déroule de nuit. J’ai longtemps été un noctambule, j’aime Paris la nuit : c’est un moment où la norme se mélange à la marge, et cela conduit à des rencontres qui ne pourraient pas se produire le jour, qui est plus clivant. Nous avons alors enquêté avec Nicolas auprès de taxis de nuit et une légende urbaine revenait régulièrement dans les témoignages : la mafia chinoise équiperait de faux taxis et exploiterait des hommes en les mettant au volant. Cela a créé immédiatement un désir de fiction. C’était une véritable matière de film noir. Notre chauffeur est donc devenu un Chinois sous la coupe de la mafia et le taxi s’est par la suite transformé en VTC, plus en phase aussi avec la perversion ultralibérale de notre société."

Frédéric Farrucci a écrit et réalisé quatre courts-métrages de fiction : Entre les lignes (sélection aux Césars 2020), Sisu (2015), Suis-je le gardien de mon frère ? (2012) et L’Offre et la demande (2008). Il a également mis en scène plusieurs documentaires. La Nuit venue est son premier long métrage.

La Nuit venue s'est tourné dans une petite économie (moins d'un million d'euros). Frédéric Farrucci  se souvient : "Nous avons pu, malgré tout, compter sur le soutien de nombreux partenaires dont les premiers furent les régions Corse et PACA, et le fonds d'aide à la diversité du CNC. Jour2Fête et le vendeur WTFilms ont très vite rejoint l'aventure, ainsi que la Région Ile de France, Canal+ et Ciné+ dans les derniers mois de financement qui nous ont donné l'oxygène dont on avait besoin ."

Frédéric Farrucci avait pour référence visuelle principale Taxi Driver de Martin Scorsese, précisément pour le travail sur la nuit noire percée de néons qu'il a effectué sur La Nuit venue. "Il y a dans ces lumières une forme de crudité urbaine très poétique. Dans une ville comme New York, on est inondé de néons, dans les cités des films asiatiques aussi, on retrouve cette esthétique. A Paris, nous avons dû aller les débusquer, parce qu’ils ne sont pas aussi omniprésents", précise le cinéaste.

Dans un soucis d'authenticité, Frédéric Farrucci voulait que la plupart des personnages chinois du film soient joués par des natifs de Chine. La phase de casting a donc été très longue compte tenu du fait qu'il y a très peu de comédiens chinois professionnels en France. Le metteur en scène a réalisé un casting sauvage dans les rues de Paris et a passé des annonces via des associations chinoises parisiennes ou des plateformes comme WeChat. Il se rappelle :

"A l’arrivée, la plupart des interprètes sont devenus comédiens avec ce film, à commencer par le premier rôle : Guang Huo. Quand il s’est présenté, il s’est passé quelque chose de fort. Il avait déjà le physique du personnage, son côté ténébreux. Et d’emblée, la caméra semblait l’aimer. Nous avons ensuite passé beaucoup de temps ensemble pour établir sa gestuelle, son impassibilité, la manière de placer sa voix. Quant à Camélia Jordana, j’aime la chanteuse, j’aime la comédienne, j’aime le personnage public et sa parole politique. Elle incarne pour moi quelque chose de très contemporain."

C’est Rone, qui fait de la musique électronique, qui a signé la bande-originale de La Nuit venue. Frédéric Farrucci et le musicien avaient pour références principales Millennium Mambo de Hsiao-Hsien Hou, qui se déroule lui aussi dans un univers nocturne et urbain. Rone, de son vrai nom Erwan Castex, joue par ailleurs son propre rôle dans le film, via une scène de concert. Le metteur en scène explique :

"On a d’ailleurs débuté le tournage par cette séquence, ce qui n’était pas rien ! C’était la dernière date de Rone pour cette tournée, donc nous n’avions pas le choix. On est allés jusqu’au Luxembourg avec l’équipe et les comédiens. Commencer par ça, c’était un sacré défi, pour tout le monde, à tous les niveaux, techniques et artistiques. C’est notamment la séquence où le couple Jin-Naomi se forme, il y avait donc un gros enjeu sensuel et la nécessité pour les deux acteurs d’un sacré lâcher-prise d’entrée de jeu. Je leur tire vraiment mon chapeau. Bref, c’était drôlement intense de commencer le tournage d’un premier film comme ça, je n’en menais pas large !"