Le court-métrage « Little precious » (Xiao Baobei) a permis de lancer le cinéaste chinois C.B. Yi dans une profonde réflexion culturelle et surtout artistique. Comme son héros qui quitte la province pour nouer avec le confort et la réussite en métropole, le milieu urbain de toutes les possibilités et de toutes les dérives. C’est ainsi qu’il part d’un sujet sensible, appelant également la répression à se manifester, car étudier de prêt les conditions de vie de travailleurs du sexe et homosexuel dans le même cadre, il y avait mille soucis à se faire avant de voir naître d’un tel portrait, à la lisière de la politique chinoise. C’est à Taïwan qu’il trouve le salut pour une œuvre qui dépasse la documentation de cette activité, considéré illégal, jusqu’à venir nuancer une tendance moderne avec les contradictions du traditionalisme rural.
Fei (Kai Ko) a quitté son foyer pour subvenir aux besoins de sa famille, ainsi que de lui-même, perdus entre la raison et des sentiments. Le tout premier plan évoque le parcours d’un filet d’eau, qui se jettera soit vers un ruisseau plus grand avant d’atteindre l’océan ou bien une vulgaire flaque ou mare, dont il restera à jamais prisonnier. Tout l’enjeu de son voyage réside donc dans un mouvement qu’il convient de respecter, mais c’est au détriment de l’avis général, que ce soient des institutions politiques ou de sa propre famille, qui le rejette amèrement, faisant également de cette étape une des scènes les plus fortes de l’intrigue. L’ambition finit alors par le bousculer, jusqu’à ce que la violence des coups le rattrape dans un premier temps. Obligé de fuir pour exister et continuer de prospérer dans un milieu qui défie tous les préjugés, il s’offre une ouverture vers la solitude, malgré la tendresse qui émane de son visage, souvent impassible.
Il n’y avait pourtant rien d’aussi radical jusqu’à ce qu’il soit séparé de Han Xiaolai (J.C. Lin), un premier amour et un premier amant dont il porte le deuil, au-delà d’une ellipse qui aura vite fait de maintenir le spectateur dans la même détresse. Et bien que le langage du silence évolue au fil de l’aventure, la passion devient une mélancolie sous pression, car ni Fei, ni son ami d’enfance Long (Bai Yufan), ne pourront se défaire de la persécution qu’ils continueront de subir. Même lorsqu’ils finissent par devenir collègues, rien ne les empêchera de consommer la flamme qu’ils retiennent par crainte de blesser davantage leur moitié. Yi fait donc en sorte que l’on tourne autour d’un lien étrange, mais fascinant, qu’il sert magnifiquement, à l’aide de plan-séquences immersifs et en laissant chaque émotion se développer au maximum, avant de profiter d’un cut ludique et libérateur. De plus, il ne cesse de jouer avec cette perception de la réalité et d’une redondance évidente, à l’image de la comédienne Chloe Maayan, qui interprète trois personnages secondaires dans ce même univers.
« Moneyboys » déborde ainsi d’une vision romanesque et en même temps remise dans un contexte contemporain d’actualité. Il sera donc aisé de s’identifier aux valeurs corporelles et sociales, fracturées par un choix de vie clandestin, où l’individu ne peut reposer que sur une poignée d’âmes loyales pour se défaire d’une emprise collective et toxique. Pour cela, Yi prend le temps de laisser mûrir ses héros, incapables d’atteindre l’orgasme ou de laisser leurs émotions exploser sur le dancefloor ou dans un karaoké. Il les invite à se libérer du courant d’eau qui leur a donné naissance et de leurs origines, qui les contraignent à capituler face aux normes. C’est un appel audacieux que le cinéaste met en place, ouvrant un peu plus les plaies d’une société qui creuse ses inégalités, en dépit de ceux qui ont la force de rentrer dans le moule et de ceux qui recherchent une forme de reconnaissance, sans déformer leur apparence.