Dans un coin reculé de Géorgie, Alice fait partie d'un groupe d'esclaves d'une plantation qui subit au quotidien les brimades inhumaines du propriétaire blanc des lieux. À la suite de certains événements, Alice parvient à fuir le joug de son oppresseur et "passe de l'autre côté du miroir" pour découvrir un monde insoupçonné...
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Étant donné que le matériel promotionnel (de l'affiche à la bande-annonce) révèle de lui-même un twist essentiel de "Alice" qui intervient après plus d'une demi-heure de long-métrage, je vais ici librement l'aborder donc si vous voulez garder un effet de surprise concernant cette partie du film, n'en lisez pas plus (et évitez tout article ou trailer à son sujet).
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Eh oui, car là où le début de "Alice" tente de nous faire croire aux tristes décors d'une plantation esclavagiste comme il en existait hélas tant au XIXème siècle, le film nous fait en réalité une nouvelle "Antebellumerie" (ou plus largement une "Villlagerie" à la Shyamalan) en révélant à son héroïne et au spectateur que la bulle de son existence d'esclave n'était en fait qu'une illusion entretenue par un esprit dangereusement arriéré dans l'Amérique de 1973 !
Le choc est évidemment immense pour Alice, beaucoup moins pour le spectateur qui n'y voit forcément là de prime abord qu'une resucée opportuniste de concepts utilisés de manière plus judicieuse par le passé (notamment sur l'onde de choc provoquée par leur révélation), même si, ici, "Alice" se veut penser comme une adaptation très libre d'un fait divers sordide au sujet d'une jeune fille afro-américaine, Mae Louise Walls Miller, ayant réellement vécu comme une esclave dans les années 60 avant de pouvoir s'échapper.
Toutefois, là où ses prédécesseurs se concluaient sur ce type de rebondissement pour nous laisser dans un état de stupeur à l'approche du générique de fin, "Alice" a l'originalité de s'en servir comme d'un commencement à l'exploration de ses conséquences, amenant son héroïne à confronter le mensonge de sa condition archaïque d'esclave à plus d'un siècle d'évolution de la place de la population afro-américaine au sein de la société américaine. Outre le choc plus général que la modernité peut représenter pour un tel personnage, le film va en effet trouver sa plus belle direction dans le regard à la fois perdu et bouleversé de son Alice plongée dans cette Amérique 70's, la faisant passer d'un être passif et asservi, sorti de son terrier intemporel, à une héroïne digérant en accéléré des décennies d'événements ou de figures noires marquantes pour enfin crier haut et fort la liberté qui aurait dû être la sienne depuis sa naissance.
De plus, la prise de conscience de son statut s'effectue en compagnie d'un guide afro-américain plutôt bien pensé pour l'occasion. Certes, on peut tiquer sur la rencontre très heureuse avec cet ancien activiste de la cause noire ayant abandonné les armes pour devenir l'objet de formes de servitudes plus contemporaines mais leur duo va peu à peu avoir du sens à travers ce que chacun (r)éveille chez l'autre dans leur désir mutuel d'émancipation en tant qu'individus. Et, autant le dire, la complémentarité de ce tandem en construction doit bien plus à l'humanité apportée par ses interprètes Keke Palmer et Common plutôt qu'au scénario ou à l'exécution très maladroite de "Alice" en général.
Effectivement, malgré de bonnes intentions et des acteurs principaux qui arrivent à tirer le meilleur de certains temps forts de cette histoire (les larmes de Keke Palmer devant cette réalité insurmontable ou la confrontation dans le dinner), "Alice" semble ne jamais savoir sur quel pied danser entre l'importance de son sujet et son déroulement très classique de revenge movie, entraînant finalement vers le bas tout ce qui aurait pu faire de "Alice" une entreprise vraiment marquante. Entre sa mise en scène peu inspirée, tout autant incapable d'apporter du relief aux moments décisifs de son récit que d'iconiser Alice à la façon tant désirée d'une Pam Grier époque Blaxploitation (son modèle littéral), et une écriture faisant de la notion d'audace son ennemie, notamment dans sa manière soit trop timide soit trop grossière d'appréhender ce qui aurait dû être la force de son discours décidément trop grande pour elle, "Alice" patine terriblement à mettre en valeur les atouts qui auraient pu faire sa différence face à des longs-métrages ayant fait appel à un ressort similaire et se cantonne à un spectacle de vengeance basique loin d'être à la hauteur de son contexte incroyable. Dommage, sans être pour autant honteuse, la traversée du miroir de cette Alice vers une liberté salvatrice méritait bien mieux.