Un film à l'esthétique remarquable, qui a l'intelligence d'utiliser l'arrière-plan et le hors-champ pour suggérer l'horreur des camps de concentration, plutôt que de sombrer dans un étalage barbare. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est difficile et dérangeant à voir. L'horreur psychologique et la tension font autant, sinon plus, que le ferait une confrontation directe avec les images.
Mais c'est à double tranchant. Déjà, représenter la vie normale d'une famille bourgeoise juste à côté des camps a son intérêt, mais que dire au bout d'une heure ? D'une heure trente ? La situation n'évolue pas, et si l'idée de départ est audacieuse, les élans esthétiques peinent à justifier le manque de progression narrative.
Le pire, dans tout ça, c'est l'attitude du réalisateur. Je cite: "Le plus important était de ne rien esthétiser. Il ne faut pas faire ça. Même durant l’étalonnage, nous avons fait en sorte que tout reste plat. Nous avons essayé de ne pas manipuler l’image."
C'est de l'ironie ? Si ce film a rien d'esthétique, je veux bien manger la pellicule avec du ketchup. Citons la constante symétrie, les travellings, le négatif, le style brutaliste et géométrique, et autres vues du dessus. Je pourrais aussi mentionner la signature sonore associée aux plans en négatifs. Je connais peu de films avec un parti pris esthétique aussi prononcé, ce qui le place donc dans la position délicate de l'esthétisation de la violence, euphémisme pour les pires heures de l'histoire, et malgré tout il prétend ne pas manipuler l'image ? Les bras m'en tombent.
Heureusement, le travail documentaire de 3 ans au préalable permet de rattraper un minimum cette communication douteuse. Somme toute, un point de vue original sur Auschwitz, qui rappelle le fils de Saul dans son esthétique (non, ce n'est pas tout plat), ou bien les Gardiennes pour l'aspect oublié, quotidien de la guerre.