La zone d'intérêt... Pour la première fois de ma vie depuis 40 ans, je suis sorti au bout de 10 minutes. Chaque image était un calvaire. Je n'étais pas avec la famille Höss. J'étais avec les martyrs dans le camp d'Auschwitz, juste derrière ce mur, derrière ces barbelés qui se trouvaient devant le nez des spectateurs.
J'ai vite compris que le réalisateur se délecterait à jouer avec les mêmes codes tout au long de son film.
Ce réalisateur va piéger des millions de personnes, hypnotisées, car ce film sera un succès.
En quittant la salle de cinéma, en posant cet acte de résistance, j'ai dit au réalisateur : « Tu es peut-être malin, mais je suis plus fort que toi et tu ne m'auras pas ».
Dès les premières minutes (et tout le monde en parle) j'ai vite compris que toute la barbarie nazie y serait suggérée.
Et la suggestion est peut-être pire.
Je passe certainement à côté d'une œuvre cinématographique majeure. Il y a la forme, incroyable, d'une intelligence folle. C'est brillant.
Et il y a le fond... Machiavélique !
Certes, dans les 10 premières minutes de ce film,
(et dans le film en entier, on me l'a confirmé),
on ne voit rien.
Et pourtant moi je voyais. Je voyais tout :
Derrière chaque scène, je voyais l'arrivée des trains dans le camp de la mort.
Je voyais les fumées s'échapper des cheminées des fours crématoires.
Je voyais la jeune Magda (une femme que j'ai connue), 16 ans, à qui une dame plus âgée, mourante, lui tendait ses quatre derniers petits bouts de pain.
Je voyais Sophie, hurlant sa détresse, car les SS lui avaient demandé de choisir un seul de ses deux enfants (« Le choix de Sophie » avec Meryl Streep).
Je voyais ces personnes pendues et laissées volontairement, des jours entiers, au bout de leur corde, au milieu du camp.
Je voyais tout le sadisme des gardiens.
Je voyais , dans les baraquements, les corps squelettiques aux regards hagards.
Je voyais l'amoncellement de cadavres entièrement nus.
J'entendais les hurlements des martyrs d'Auschwitz.
Derrière chaque image, je voyais la barbarie.
Derrière chaque scène, je voyais la mort.
Ici, toute la question de la Shoah se limite à une chose abstraite.
Toute l'horreur de l'Holocauste y est esthétisée.
Réaliser un film entièrement focalisé sur le point de vue des bourreaux n'est pas acceptable sur le plan humain.
Le réalisateur a dit vouloir dénoncer la barbarie nazie. Je m'insurge contre cette idée.
Si on veut démontrer toute l'horreur de la Shoah, il faut montrer toute l'horreur de la Shoah !
Point final.