« Je n’ai pas voulu faire un film sur le viol », se défend Eva Trobisch dans une interview. Disons donc que, pour son premier long-métrage, cette réalisatrice allemande a surtout cherché à dresser le portrait d’une femme qui, quelles que soient les circonstances, se refuse à perdre pied. Une femme qui puise en elle, autant qu’il est possible, la force de vivre « comme si de rien n’était », même quand, précisément, elle vient de subir un viol. « Alles ist gut », tout va bien, dit le titre allemand du film. C’est ce dont Jeanne (Aenne Schwartz) veut s’auto-persuader et c’est même ce dont elle veut convaincre son agresseur.
Un soir, à l’occasion d’une fête où elle s’est rendue sans son mari, une fête bien arrosée, elle fait la connaissance d’un certain Martin (Hans Löw), un brave type qui, puisqu’ils sont tous deux bien alcoolisés, se propose de l’héberger. Jeanne accepte mais, une fois dans la maison de Martin, doit subir les avances de ce dernier. Elle essaie, dans un premier temps, de le repousser mais, face à l’insistance de son assaillant, finit par céder. Pas de brutalités comme on a l’habitude d’en voir quand il est question de viol dans les films ou les séries. Mais, néanmoins, ce qu’elle a subi ne peut être désigné par un autre mot que celui-là.
Jeanne récuse cette évidence, elle s’efforce au déni, elle veut poursuivre sa vie comme avant, comme si rien n’avait changé pour elle. La réalisatrice explore avec subtilité l’ambivalence d’un tel comportement. Et, quand, du fait d’un travail qu’elle a trouvé chez un éditeur, elle retrouve, parmi ses collègues, l’homme qui a abusé d’elle, l’ambiguïté augmente encore d’un cran. Car cet homme, ce Martin, se dévoile plus pitoyable que méchant. Les plates excuses qu’il formule ne le grandissent certes pas, mais n’en font pas un être mauvais pour autant. On perçoit sa gêne. Or c’est justement ce qui est remarquable dans ce film : les deux personnages principaux n’ont rien de stéréotypé (il n’en peut-être pas tout à fait de même, malheureusement, avec les personnages secondaires). L’agresseur ne peut être défini uniquement comme un sale type, pas plus que la femme violée ne peut être définie uniquement comme une victime. C’est la force de ce film que de ne pas enfermer ces deux personnages dans la banalité. Et c’est son bien-fondé que de ne pas juger, mais de suivre avec opiniâtreté le parcours d’une femme qui se croit plus résistante qu’elle ne l’est en réalité.