Fabienne (Catherine Deneuve) est une immense star. À l’occasion de la publication de ses mémoires, sa fille Lumir (Juliette Binoche), scénariste à New York, lui rend visite à Paris. L’accompagnent sa propre fille et son mari (Ethan Hawke), longtemps tenu à l’écart des tournages par son alcoolisme. Fabienne est en train de tourner un film de science-fiction avec une jeune actrice en pleine ascension (Manon Clavel) qui interroge son statut de mère et de star.
La présence en France du réalisateur japonais Kore-Eda pour y tourner avec deux des plus grandes actrice françaises son dernier film, juste après "Un air de famille" sacré à Cannes en 2018, n’était pas nécessairement une bonne nouvelle.
Parce que les précédentes expériences françaises des grands réalisateurs asiatiques n’avaient pas vraiment convaincu. Qu’on aime ou pas Kiyoshi Kurosawa, Hong Sang-Soo ou Hou Hsia Hsien, on ne saurait tenir "Le Secret de la chambre noire" (avec Tahar Rahim), "La Caméra de Claire" (avec Isabelle Huppert) ou "Le Voyage du ballon rouge" (avec Juliette Binoche) pour les œuvres les plus accomplies de ces grands cinéastes.
Parce que, surtout, on ne comprend pas ce qu’il faut attendre de cette fertilisation croisée. Car de deux choses l’une a priori. Soit le réalisateur asiatique expatrié en France n’arrivera pas à se départir de ses habitudes et on voit mal pourquoi s’être donné le mal de venir tourner en France. Soit, au contraire, il les aura si bien gommées qu’on lui reprochera d’y avoir perdu son identité.
Kore-Eda est-il tombé dans l’un de ses travers ? En partie. "La Vérité" est un film absolument français qu’on aurait volontiers attribué à André Téchiné ou Benoît Jacquot si on n’avait rien su du nom de son réalisateur. Est-ce en soi un mal ? Nullement. Au contraire. L’ironie grinçante du film fait mouche, peu importe l’identité de celui qui l’a réalisé. Et Kore-Eda ne peut qu’être félicité pour avoir su avec autant de finesse, sans parler un mot de français, s’approprier les codes de notre cinéma.
Sauf que… Sauf que on ne voit pas très bien les raisons de lui avoir fait traverser l’Eurasie pour réaliser ce film-là. Il démontre certes l’étendue de ses talents, la richesse de sa palette. Mais à quoi bon ? Proposerait-on à Bong Joon-Ho de tourner après" Parasite" un remake du "Dernier métro".
On pourra ne pas me suivre dans cette argumentation spécieuse qui dit tout et son contraire et préférer considérer le film pour ce qu’il est : une formidable entreprise par Catherine Deneuve d’auto-démythification – si on m’autorise ce néologisme hardi.
J’ai déjà dit souvent mon ras le bol devant cette actrice qui n’a pas quitté la tête d’affiche depuis cinquante ans. Mais force m’est de reconnaître son immense talent et son audace à endosser le rôle quasi-autobiographique d’une diva péremptoire, hautaine, égocentrique, cruelle et injuste avec ses proches. J’ignore ce que sa fille Chiara en a pensé ; mais j’imagine volontiers que ses rires furent parfois jaunes.
Chapeau l’artiste !
Et puis, même si la prestation de Mlle Deneuve (ansi qu’elle est créditée au générique) pourrait lui valoir le troisième César de son interminable carrière, il faut saluer celle des autres acteurs auxquels pourtant elle ne laisse guère de place. Juliette Binoche – dont l’anglais est décidément excellent – accepte le rôle ingrat de la fille écrasée par sa mère qui tente en vain de s’en affranchir. Ethan Hawke est épatant dans le rôle de l’Américain à Paris – qu’il a, il est vrai, déjà endossé auprès de Julie Delpy. Il n’est pas jusqu’à la gamine, interprétée par Clémentine Grenier, qui ne soit pas juste.