J’ai beaucoup aimé ce beau et subtil documentaire où Samuel Bigiaoui filme son père avec beaucoup de retenue, de pudeur mais non sans une certaine cocasserie… Sans être réellement cinéaste, il est architecte et enseignant en mathématiques , il est passionné de cinéma depuis son plus jeune âge, il a filmé pendant des années, sans avoir réellement de but précis, les allées et venues du magasin de son père, Bricomonge , qui comme son nom l’indique se situe 16 rue Monge…Alors que celui-ci, en 2012, constatant une baisse régulière de son chiffre d’affaire, lui fait part de son intention de le vendre, il ressent le besoin impérieux de percer le mystère incompréhensible pour lui, à savoir ce qui a amené le militant maoïste qu’il était dans les années 1960-1970, intellectuel diplômé, à vendre des clous. Car Jean Bigiaoui a été en 1968 et les années suivantes, un militant maoïste de la Gauche Prolétarienne, de plus membre de la Nouvelle Résistance Populaire, organe clandestin de la Gauche Prolétarienne, qui s’est illustré dans le rapt d’un cadre de la DRH de Renault après l’assassinat de Pierre Overley, dans le saccage de l’épicerie Fauchon à la Madeleine, et la redistribution aux nécessiteux…dans la vol de bandes de tickets de métro et leur redistribution aux travailleurs touchés par une brutale augmentation du ticket de métro…rares mais précieuses confidences d’un homme peu disert, réticent à se livrer ( il le fait dans la réserve de son magasin !!) mais qui veut faire plaisir à un fils trop curieux. Jean Bigiaoui est un quincaillier peu ordinaire. Claude Eveno, urbaniste, fidèle ami depuis le lycée, mais qui lui a choisi le Situationnisme, donne une idée du personnage, et s’en amuse : « C’est un mec qui a fait des études supérieures, qui a essayé de faire la révolution, quasiment un homme de main dans les groupuscules révolutionnaires, qui a réalisé des films politiques avec Joris Ivens. Personne ne peut imaginer qu’il y a un dangereux subversif derrière la caisse ! » En 1973, la Gauche Prolétarienne s’étant auto-dissoute, Jean Bigiaoui reconnait s’être trouvé comme un demi-solde, démobilisé…certains n’ont jamais pu s’en remettre, d’autres ont fait les brillantes carrières que l’on sait… le choix de la quincaillerie dans les années 1980 a été une façon de ne pas céder à la construction d’une carrière, « le parfait abri contre tout supérieur hiérarchique ». Une manière de rester anonyme pour qui aimerait être « couleur muraille ». C’est une quincaillerie « à l’ancienne », comme il n’en existe plus beaucoup. À l’intérieur, au décor hétéroclite, des pots de peinture, du petit outillage, des produits d’entretien, des colles en pagaille, des ampoules en tout genre, des clous, des vis et des boulons en vrac. Factures manuscrites et commandes tapissent le grand miroir derrière la caisse. Pas le moindre ordinateur en vue… . Plus que pour acheter une planche de bois ou quelque outillage, on vient surtout chez Bricomonge pour prendre un café, discuter de la pluie et du beau temps, mais aussi échanger sur la politique, l’économie, les spectacles ou encore pour rencontrer d’autres cultures, puisque tant du côté des habitués que des salariés, tous les pays s’y croisent et égaient le lieu de leurs accents divers et variés, faisant de ce huis clos chaleureux un haut lieu d’humanité que Samuel Bigiaoui filme avec sensibilité et retenue.. Avec le personnel, c’est une vie de famille, José est là depuis trente-deux ans, Mangala, qui se souvient avoir obtenu ses papiers grâce à Bricomonge, depuis vingt-huit ans, Zohra l’algérienne apporte la pâtisserie orientale qu’elle a confectionnée…. La fermeture d'un magasin de bricolage comme la fin d'un monde…pas vraiment…certes c’est imprégné de mélancolie, mais c’est finalement un film heureux, en tout cas qui fait du bien, les spectateurs qui ont applaudi à la fin de la projection ne s’y sont pas trompés…c’est émouvant et drôle…allez le voir….et puis Bricomonge ne sera pas remplacé par une agence bancaire (il y en a déjà deux en face !!) mais par un petit supermarché Carrefour …où Mangala pourrait envisager de se faire embaucher…