Nous pouvions le sentir revenir plus grand et plus ambitieux, à la suite d’un « Antiviral » qui a manqué de nous convaincre totalement. Pourtant, Brandon Cronenberg se dresse de nouveau devant nous, avec un récit plus modeste, mais qui gagne en efficacité. Il aura bien laissé mûrir cette thématique de la perte de contrôle et il s’amuse encore à cultiver la violence corporelle. En reposant son intrigue sur le développement de personnage, il nous dévoile cette face cachée qui faisait cruellement défaut dans son précédent long-métrage et qu’il aura certainement mise au point dans son dernier court-métrage « Please Speak Continuously and Describe Your Experiences as They Come to You », dont le titre parle de lui-même. Toutefois, ne nous fions pas aux a priori les plus primaires, à commencer par une fastidieuse comparaison avec son paternel, qui a déjà renforcer son empreinte dans nos esprits.
Et c’est avec cette ironique transition qu’il revient hanter ses nouveaux sujets avec une technologie loin d’être délirante, mais qui bâtit un lien solide avec les différentes formes de piratages que l’on peut rencontrer aujourd’hui. Bien entendu, Cronenberg amorce son analyse avec une radicalité à en scier nos rétines. C’est alors avec une fascination morbide qu’il nous entraine dans une hallucination d’une grande violence et d’une grande froideur. A l’image de ses premières minutes, il tente de démunir sa pièce maîtresse d’une compassion sans faille. La tueuse à gage Tasya Vos (Andrea Riseborough) dégage une aura des plus perverse, en piratant le libre-arbitre et donc l’intimité de ses victimes. Elles et toutes les cibles du système sont balayées d’une équation simpliste et très démonstrative. Mais ce constat nous révèle également ces moments de flottement et d’égarement, comme si nous n’étions plus maître de notre vie, comme si nous avions perdu le contrôle sur ce qui nous rendait vivant et humain.
L’intrigue resserre alors son étau sur la profonde mélancolie de Vos, qui ne cherche pas à la cultiver, loin de là. Elle cherche à s’en débarrasser pour qu’elle puisse mieux renaître dans les cendres de ses victimes, dont elle devra posséder le corps et la personnalité. La question même de l’hôte confronte donc la légitimité de cette dernière à sa propre humanité. Ce que l’on comprend rapidement réside dans cette colère que l’on refoule et qui décuple l’instinct meurtrier, dévorant ainsi des citoyens frustrés et désarmés par leur propre progrès technologique. Que reste-t-il d’autre qui le rendrait libre aux yeux de ceux qui chassent pour des motivations plus obscures, mais surtout plus égoïstes ? Plus grand-chose de toute évidence. Sans harmonie, pas de survie. Le film signe avec une malice angoissante le déphasage d’une femme, incapable de régner de sa propre conscience et surtout dans un monde trop cruel et physiquement instable.
En somme, dans un élan de violence loin d’être banalisée, servie par une violation de la vie privée omniprésente, « Possessor » fait le point sur la vitalité d’individus conditionnés à obéir. La prise d’otage cérébrale devient alors le siège de toute cette psychanalyse, qui repousse les limites d’un sujet plutôt simple et le complexifie au rythme des battements des cœurs qui s’éteignent. Il s’agit sans doute d’une continuité réfléchie, sachant que le réalisateur a préféré s’attarder sur le concept de corps étranger, qui aura certes un caractère moins viral, mais qui évoluera fatalement vers la même chute autodestructrice.