Enquête sur un scandale d'Etat s'inspire du livre du même nom écrit par le journaliste Emmanuel Fansten et l'informateur Hubert Avoine. Le metteur en scène Thierry de Peretti, qui pour l'occasion s'éloigne de la Corse où il a tourné ses précédents films, explique :
"Le livre retrace le parcours d’Hubert Avoine, du syndicalisme aux cartels mexicains en passant par l’Office français des stups. Il raconte ce à quoi il dit avoir participé et qu’il pense être une dangereuse dérive de la lutte contre le trafic de drogue en France."
"Le livre m’a captivé, mais je ne me voyais pas travailler sur cette adaptation, trop éloignée de moi, et de mon territoire premier de cinéma qui est la Corse. Mais au moment de rencontrer Hubert Avoine et Emmanuel Fansten, ce que j’ai pu voir de leurs rapports m’a tout de suite plu et intrigué."
"Je me suis dit qu’il y avait là de quoi faire un film et raconter la relation inédite entre un journaliste et sa source, leur obsession commune pour cette enquête, l’extrême théâtralité de leur dialogue. C’était évident qu’ils disaient quelque chose du monde et de cette époque qui s’achève."
Thierry de Peretti et son équipe ont pu tourner dans les bureaux du célèbre journal Libération. Il se rappelle : "Il n’était pas question que le travail des journalistes s’arrête pour qu’on puisse tourner, on devait se glisser et se faire discrets, se fondre dans le décor. On voit bien d’ailleurs à l’image le mouvement, la vie qui continue, les journalistes qui passent dans le champ et qui ne sont pas des figurants..."
Enquête sur un scandale d'Etat se situe entre le film d’enquête et le film dit "de drogue". Thierry de Peretti confie : "A quoi ressemble la lutte contre le trafic de drogue aujourd’hui ? Quels en sont les acteurs et les outils, les stratégies et les doctrines ? Quelles sont les modalités de la consommation ? Qu’est-ce que cela implique d’un point de vue politique, économique et philosophique ? C’est allégorique."
"La toile de fond du film, c’est le trafic, mais, bien sûr, il est question du capitalisme et de la société du spectacle. La drogue, c’est le produit capitaliste ultime. Peut-on endiguer son trafic ou est-on réduit à ne faire que du renseignement ? La guerre contre la drogue est-elle une guerre perdue ? Le film pose aussi ces questions."
A noter la présence d'Alexis Manenti, un acteur qui avait tenu l'un des trois rôles principaux dans le film choc sur la banlieue Les Misérables (2019).
Pour écrire Enquête sur un scandale d'Etat, Thierry de Peretti et Jeanne Aptekman ont utilisé un matériel hétéroclite composé d'auditions, d'interviews (écrites ou filmées), de procès-verbaux, de témoignages et de déclarations diverses. Mais ce sont surtout les récits d’Hubert Avoine et Emmanuel Fansten, avec lesquels il a mené de nombreux entretiens, qui lui ont été bénéfiques. Le cinéaste précise :
"Nous sommes partis avec eux en Espagne, sur la Costa del Sol, épicentre du trafic européen, mais aussi à Marseille, pour voir ce qu’il s’y passait et surtout pour les observer eux, ensemble. Il s’agissait de poursuivre leur navigation à vue le plus longtemps possible."
Roschdy Zem et Vincent Lindon se connaissent bien puisqu'ils ont joué ensemble dans Fred (1997), Ma petite entreprise (1999), Les Clefs de bagnole (2003) et Filles uniques (id.).
Thierry de Peretti a opté pour le format 1.33, comme pour son premier film Les Appaches. Il justifie ce choix : "Avec ce format carré, le regard du spectateur cherche à aller plus profondément dans l’image, à percer l’image des yeux. Ça change sa vision et sa perception. Ça modifie aussi beaucoup le travail que l’on doit faire sur le son. C’est un format qui vient aussi contredire l’apparence naturaliste du film. C’est aussi pour cela que la caméra dans le film est mobile, mais jamais nerveuse ou tremblée, jamais à l’épaule. L’omniprésence d’acteurs professionnels affirme aussi une volonté que la fiction occupe tous les recoins de la mise en scène."
Plusieurs des acteurs du film avaient déjà travaillé avec Thierry de Peretti au théâtre ou au cinéma, comme Valeria Bruni Tedeschi, Cédric Appietto, Marie-Pierre Nouveau ou Henri Costa. Le cinéaste avait par ailleurs rencontré Roschdy Zem sur le tournage de Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau.
Thierry de Peretti a opté pour une mise en scène faisant la part belle aux plans-séquences et aux mouvements de caméra fluides. Le metteur en scène explique : "C’est la troisième fois que je collabore avec Claire Mathon. On travaille beaucoup en amont, et on questionne ce qui a été fait d’un film à l’autre. Claire est capable de « voler » à travers les plans. Sa manière de circuler à l’intérieur, librement, dans une écoute redoutable de ce qui se joue entre les acteurs, contribue beaucoup au sentiment de fluidité. Ces plans-séquences sont aussi un grand défi physique et technique pour l’équipe son du film."
Thierry de Peretti avait joué le rédacteur en chef de Libération dans Saint Laurent de Bertrand Bonello !
Comme pour la musique d'Une vie violente, Thierry de Peretti a travaillé avec le superviseur musical Frédéric Junqua, en échangeant très en amont du tournage des sons, des playlists et autres morceaux qui ont un rapport plus ou moins direct avec l’époque que le film couvre. Le réalisateur précise :
"C’est ensuite au montage que beaucoup de choses se jouent : je fais mille et un essais et vais choisir dans cette grande boîte à outils ainsi constituée. Nous sommes allés chercher aussi bien dans le répertoire de plusieurs formations d’électro-ambiant américain comme Ore, Loscil ou Tom Carter, que chez des groupes mythiques comme Future Islands, The Blue Nile (générique de fin) ou encore Purple Mountains, la dernière formation du regretté David Berman."
"A cela viennent se télescoper Francis Cabrel, les Négresses vertes, quelques cumbias de cartels mexicains, mais aussi des tarentelles, qu’on peut entendre dans des films de Pasolini, ou encore Dean Blunt et bien sûr Maud Geffray, qui est une des grandes compositrices électroniques françaises actuelles."
Roschdy Zem s'y connaît en matière d'infiltration puisqu'il a joué, dans Go Fast (2007), un officier de police muté dans un nouveau service de la PJ chargé d'infiltrer un gang de trafiquants de drogue.
Les séquences de comités de rédaction à Libération ont été écrites avec les acteurs selon les modalités des vrais comités de rédaction du journal. Le réalisateur se souvient : "Nous voulions surtout qu’on ait l’impression de vivre cette expérience en temps réel, autour de cette immense table qui ressemble à un vaisseau spatial. (...) Je voulais aussi que ce soient des actrices et des acteurs (dont on retrouve certains tout au long du film et qui forment le chœur de journalistes autour de Stéphane : Alexis Manenti, Antonia Buresi, Julie Moulier, Arnaud Churin, entre autres) qui s’emparent de ce séquences, et non des vrais journalistes, ou des acteurs non professionnels comme j’avais pu le faire dans mes films précédents."