Classique des classiques du 7e art, "Casablanca" ne m’avait jamais paru plus attrayant que ça, malgré une iconographie très reconnaissable et une place dans le Panthéon des cinéphiles qui avait un peu tendance à titiller ma curiosité. Et je ne peux, aujourd’hui, que comprendre l’admiration qu’on peut avoir pour ce "Casablanca" qui est, effectivement, un petit bijou ! Pour peu qu’on accepte de laisser de côté les travers un peu vieillots du film (à commencer par les dérapages romantico-gnagnan avec sa musique qui s’envolent et ses flash-backs poussiéreux), on ne peut qu’être transporté par l’exotisme d’une intrigue qui nous ramène en pleine Seconde Guerre Mondiale dans un lieu inhabituel, qui parait loin du conflit mais où on croise des Nazis à chaque coin de rue et, accessoirement, un lieu de transit privilégié pour les résistants désireux de rejoindre les Etats-Unis. Ce cocktail explosif met instantanément le film sous tension (et ce dès les premières minutes) et aurait pu être traité de façon assez académique… si les scénaristes n’y avait pas greffé une histoire d’amour et, surtout, un choix cornélien qui va s’offrir au héros, Rick Blaine. Et, là encore, l’histoire aurait pu rester assez convenue si elle n’avait pas été traité sous l’angle cynique et désabusé de cet expatrié américain campé par un Humphrey Bogard tout simplement époustouflant ! L’acteur incarne à lui seul toute la cool attitude, qui a, depuis, été si souvent imité, avec sa cigarette constamment allumée, son intégrité morale dépourvue de tout militantisme politique, son refus de se laisser aller à la moindre émotion, son regard détaché ou encore sa classe de chaque instant (ah le costume blanc). Bogard bouffe, donc, l’écran, mais il se trouve un compagnon de jeu tout aussi impressionnant en la personne du génial Claude Rains dans le rôle du Capitaine vichyste Renault. Ce personnage est l’opposé parfait du héros (opportuniste, épicurien, menteur…) mais est tellement conscient de ce qu’il est qu’il réussit, par un incroyable tour de passe-passe, à être monstrueusement sympathique aux yeux du public. Il faut dire qu’il représente une certaine "tolérance" française face aux pratiques locales en opposition à la rigueur allemande, ce qui n’est pas anodin en 1942, lorsque le film est sorti. L’évolution de chacun de ces deux personnages est un modèle d’écriture et démontre que les films des années 40 pouvait être riches sur le plan de la complexité des personnages.
A ce titre, la scène finale ("je crois que ceci est le début d'une merveilleuse amitié") est une véritable merveille et sans doute l’un des meilleurs fins d’un film de cette époque, qui souffraient, la plupart du temps, d’un final expédié.
Sans égaler les prestations de ces deux monstres, le reste du casting est, également, très réussi avec une Ingrid Bergman troublante en beauté atypique, un Paul Henreid impeccable en chef de résistance droit dans ses bottes (ce qui le différencie considérablement du héros) et le formidable Peter Lorre en escroc minable. Enfin, le réalisateur Michael Curtiz nous livre une mise en scène élégante, qui sait jouer avec le noir et blanc (les jeux de lumières sont très réussis) et s’autorise quelques moments plus légers
(le capitaine Renault qui fait fermer le tripot "clandestin"… mais qui récupère ses gains)
qui donne définitivement à "Casablanca" une note indéfinissable. Film de guerre ? Comédie romantique ? Film de gangster ? Le film est un peu tout à la fois et s’offre une véritable plus-value grâce à la richesse de ses personnages. "Casablanca" n’a pas usurpé sa flatteuse réputation.