Les Krahôs appartiennent au peuple Timbira de la famille Jê, et au groupe linguistique Macro-Jê. Comme le reste des Timbiras, les Krahôs s’appellent eux-mêmes "mehĩ". Ce sont les habitants traditionnels du Cerrado et, ayant longtemps vécu dans cet environnement, ils y ont développé un savoir écologique sophistiqué, transmis de génération en génération.
Situé au nord-est de l'état de Tocantins au Brésil, le territoire indigène Krahô s'étend sur 3200 km carrés. Il s'agit de l'une des zones les plus importantes du Cerrado, la savane brésilienne. Abritant un tiers de la biodiversité du pays, le Cerrado est grandement menacé par l'agriculture intensive. De nombreuses espèces animales et végétales sont en voie de disparition.
La réalisatrice Renée Nader Messora a visité pour la première fois un village Krahô en 2009. Elle accompagnait un ami venu enregistrer la cérémonie de fin de la période de deuil suivant la disparition d'un important chef local. Au sein de ce village s'est constitué un groupe de cameramen : les Mentuwajê, "Gardiens de la Culture", de jeunes Krahôs qui ont pris l’initiative d’utiliser la caméra comme un moyen d’accéder à l'autodétermination et de réaffirmer leur propre identité. Renée Nader Messora n'est jamais restée éloignée de ce peuple indigène, créant au fil des années une complicité avec lui. Quelques années plus tard, João Salaviza se joint à elle lors d'un voyage.
Chez les Krahôs, les morts sont dangereux car ils veulent emmener leurs proches vivants avec eux. C'est grâce à la nostalgie qu'ils arrivent à faire ressentir leur absence. Pour briser ce lien, les Krahôs oublient leurs morts et organisent une cérémonie de fin de deuil, le Pàrcahàc ("la bûche des morts").
Il existe également la notion complexe de mecarõ, des images de corps présents ou absents, sujets à différentes traductions : âmes, esprits, ombres, reflets, photographies, films, enregistrements sonores, images oniriques. Il s'agit d'une sorte de double, possédant de façon autonome une existence mobile et indépendante du corps de la personne, tout en lui étant intimement lié.
Le titre original du Chant de la forêt est Chuva é Cantoria Na Aldeia Dos Mortos, qui signifie "la pluie est une cantoria dans le village des morts". La cantoria est un genre musical brésilien basé sur l'improvisation en vers.
Le Chant de la forêt est le premier film intégralement tourné en langue de Jê, le dialecte de la tribu des Krahôs. Les réalisateurs eux-mêmes ne parlaient pas la langue et n'avaient pas de contrôle sur ce qu'il se disait, comme s'en souvient João Salaviza : "Il est inutile de chercher à interrompre la scène lorsque les gens parlent devant vous et que vous ne comprenez pas ce qu'ils disent. Mais vous savez que ce qu'ils disent est pertinent, sinon ils ne parleraient pas du tout. Bien sûr, nous avons eu des idées qui ont été discutées entre nous avant certaines séquences 'davantage mises en scène'". Ce n'est qu'en post-production et durant le montage que leurs propos ont été traduits, surprenant agréablement les réalisateurs qui découvraient ce qui avait été dit.
Les deux réalisateurs ont vécu pendant neuf mois au milieu des Krahôs. Ils étaient accompagnés de Vitor Aratanha, le preneur de son, un anthropologue originaire de Brasilia qui parlait un peu la langue du village car il y vivait depuis longtemps. Ils adaptaient leur planning de tournage au quotidien des Krahôs, s'accordant sur le fait que la vie du village était plus importante que leur film : "La seule chose dont nous avions besoin était du temps, de longues périodes passées au quotidien avec les Krahôs, en suivant le rythme de leur village. Le film lui-même se tournait de façon mystérieuse, même si nous pouvions nous appuyer sur une sorte de structure narrative basée sur ce que nous avions vu", explique João Salaviza. Bien que l'immersion était totale, Le Chant de la forêt n'est pas un documentaire mais bien une fiction.