Réalisé par les portugais Joao Salaviza et Renée Nader Messora, ‘’Le chant de la forêt’’ a reçu le prix du Jury de la Sélection Un Certain Regard à Cannes en 2018. Les réalisateurs ont vécu pendant neuf mois avec les Krahôs, ce peuple autochtone qui vit au nord du Brésil. Ils décidèrent d’en faire un film, se focalisant sur le parcours d’Ihjac, un jeune homme qui organise la fête de fin de deuil en l’honneur de son père décédé. Dans le même temps, l’esprit d’Ihjac est visité par un perroquet annonciateur de ses dons de chaman. Nous nous trouvons donc devant un film de fiction. Ou un documentaire. En fait un peu des deux, et c’est justement ce qui pose problème, comme on le verra dans cette critique.
On vit encore une époque on l’on croit qu’un simple sujet suffit pour en faire un film entier. Car ‘’Le chant de la forêt’’ se vautre dans une certaine pauvreté : le film flirte dangereusement avec ces vieux documentaires exotiques comme on en faisait à l’époque. Nous voici devant un film qui a pour vocation de nous faire découvrir des peuplades d’Amazonie. Ainsi, on a le droit à ce regard fasciné (limite condescendant) des réalisateurs envers ce peuple. Un regard qui croit qu’il suffit de filmer les traditions indigènes pour en faire tout un film.
Plus précisément, le problème est lié tout bêtement à ce qu’est ‘’Le chant de la forêt’’ en lui-même. Sommes-nous devant une fiction ou un documentaire ? Un peu des deux : il y a bien un scénario (écrit par Joao Salaviza) mais les acteurs jouent leur propre rôle. Dans un premier temps, cela peut sembler étrange de critiquer ce parti-pris : on a déjà vu des œuvres qui mêlent très bien fiction et documentaire. Mais en fait, ce mélange est ici vraiment problématique car, au fond, ni le pouvoir de la fiction, ni le pouvoir du documentaire n’opèrent vraiment. D’un côté, il y a l’aspect documentaire. Les deux réalisateurs évitent la facilité de l’interview pour se concentrer sur le déroulement de la vie quotidienne du héros et de son entourage : une approche en somme naturaliste. Mais le revers de la médaille se fait sentir : le film n’a rien de pédagogue et ce qu’on en retire est à la fois sommaire et limite caricatural. Une nouvelle fois est mis en avant le folklore musical des autochtones. Une nouvelle fois est mis en avant la croyance en la magie, représenté par la communication avec les morts et la présence de chamans. Tout cela est vu et revu (n’importe quel documentaire d’Arte est cent fois plus instructif). L’aspect documentaire ne convainc donc pas. C’est d’autant plus rageant que les deux réalisateurs ont étudié pendant plusieurs années cette tribus et que, par conséquent, ils avaient toutes les cartes en mains pour réaliser un véritable documentaire.
Puis il y a l’aspect fictionnel du film, qu’il est aussi possible de critiquer. l’intrigue tient sur un post-it. Le jeune héros du film organise les derniers préparatifs pour honorer une dernière fois l’esprit de son père décédé et ne veut pas devenir chaman. Et c’est tout. A la fin, il faut saluer la prouesse du film qui arrive à dépasser les 1h 54 de film. Comment ? En grattant du temps, en étirant certaine séquences et même en créant une rupture dans l’intrigue (enfin, intrigue, c’est beaucoup dire) en envoyant son héros en ville. Le caractère méditatif et difficile d’accès de l’oeuvre est représenté par la scène d’ouverture : Ihjac entend la voix de son père qui semble provenir d’une cascade. La scène sur le papier aurait pu être belle si les réalisateurs n’avaient pas eu l’idée de filmer la marche qui semble interminable d’Inhjac dans la forêt.
La lenteur au cinéma est un élément très relatif. Qu’est-ce qui fait que dans tel ou tel film, on aura tendance à être fasciné par sa lenteur là où dans un autre film, ses lenteurs vont nous paraître interminables ? La raison est bien sûr lié à notre propre sensibilité. Et atteindre notre sensibilité, un réalisateur en est capable s’il parvient à nous hypnotiser par la beauté de l’image. Or, ‘’Le chant de la forêt’’ se plante complètement sur ce point là. Nul envoûtement ici comme on aurait pu s’y attendre à cause d’une raison simple : l’image est le plus souvent en basse définition. Cela apporte un grain qui picote sérieusement les yeux. Par conséquent, les plans d’ensemble qui sont censés présenter toute la majesté de la nature sont gâchés par la mauvaise qualité d’image. La médiocre qualité d’image, inutile de chercher à la réfuter. Les réalisateurs eux-mêmes admettent avoir eu recours à une vieille caméra argentique, plutôt que d’utiliser une caméra numérique, le climat étant trop chaud pour que cette dernière ne tienne. Peut-on vraiment pour autant approuver ce choix ? Selon les réalisateurs, la seule caméra suffisamment rodée pour supporter le climat aurait donc une aussi mauvaise qualité d’image. N’y a-t-il pas d’autres caméras capables de résister aux climats les plus hostiles ? Certaines caméras numériques, de part leur capacité à s’adapter à l’environnement sont bien plus pratiques pour saisir la magie de la forêt. Des films se passant dans la jungle amazonienne ont ainsi un rendu bien plus propre, sans pour autant que cette propreté ne vienne atténuer le caractère sensoriel et mystérieux de ce genre d’espace. On a par exemple eu en 2016 ‘’The lost city of Z’’ de James Gray, aux visuels nets et splendides (et il n’y a quand même pas une énorme différence de température entre la Colombie où a été en partie tourné le film de James Gray et le nord du Brésil où vivent ces tribus).
‘’Le chant de la forêt’’ ne parvient pas à trouver le bon tempo. Constamment ballotté entre fiction poussive et documentaire pauvre, le film n’est pas convainquant. Il n’est pas non plus aider par son acteur, inexpressif au possible. C’est d’autant plus une déception qu’il y avait véritablement moyen de créer, au choix, une belle fiction avec une solide intrigue, ou un documentaire très pédagogique.