Palme d'or au festival de Cannes 1987, ''Sous le soleil de Satan'' est un film réalisé par Maurice Pialat. Son histoire cannoise est fameuse : alors que ''Les ailes du désir'' de Wim Wenders et ''Les yeux noirs'' de Nikita Mikhalkov étaient largement favoris pour décrocher la récompense suprême, le jury en décida autrement en décernant la précieuse palme au film de Pialat. Recevant son prix sous les huées du public, Pialat lâcha la phrase désormais célèbre : ''vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus''. Mais le mal était fait : plutôt que de récompenser des œuvres à portées universelles et esthétiquement superbes, le jury de Cannes aura préféré couronner une œuvre difficile d'accès, très souvent rébarbative et cinématographiquement faible.
Le film est adapté du livre éponyme de Bernanos, publié en 1926. L'abbé Donissan (Gérard Depardieu) est en proie au doute concernant la toute puissance de Dieu. Malgré les conseils avisés de son supérieur Menou-Segrais (Maurice Pialat), Donissan est visité par le Malin. Il rencontre alors Mouchette (Sandrine Bonnaire) qui a quelques temps auparavant tuée son amant.
Soyons honnête : il est difficile de critiquer ''Sous le soleil de Satan''. Le film offre une expérience philosophique très (trop?) poussé sur la question de Dieu et du doute. Le film de Pialat est riche, certes. Le film de Pialat est profond d'accord. D'évidentes qualités sont à porter au crédit du film : sur le papier, l'histoire est belle. L'idée d'un prêtre qui, au désespoir face à l'étendu de l'influence de Satan est bonne. L'élément qui viendrait conforter Donissan dans ses doutes (à savoir, les tourments autour du personnage de mouchette) est bien trouvé. Mais la meilleure idée, exploité seulement le temps d'une scène, c'est la représentation du Satan du titre (Jean-Christophe Bouvet qui offre la meilleure performance du film). Dans une scène très déstabilisante, Satan s'invite dans la peau d'un vagabond. Ni horrifique incarnation, ni séduisante incarnation (car le Diable est souvent représenté comme terrifiant ou au contraire séduisant), ici Satan est au plus près des hommes que ce soit physiquement ou mentalement. Comme si Jésus et Dieu s'étaient éloignés des hommes pour lui laisser la place : celle qui consiste à s'occuper de leurs ouailles. Nous avons affaire à un Satan auquel il est plus facile de s'identifier, par conséquent plus tentateur et dangereux.
Donc, de la matière, il y en a. D'autant plus que Pialat est un génie et qu'il le sait. Il décide de faire un film à son image : génial. Sauf qu'il oublie une chose, c'est que tout le monde n'a pas son génie. Il est tout à fait naturel pour nous, pauvres mortels de trouver son film abscons, prétentieux et filmer n'importe comment. Difficile de dire ce qui endort le plus : la réalisation, le scénario ou la direction d'acteurs. En fait, ces trois éléments sont liés par un dénominateur commun qui s'avère être le défaut principal : l'horrible impression d'être devant du théâtre filmé. On est bien d'avantage devant une œuvre théâtral que cinématographique. C'est la raison qui empêche une réelle critique du film : comment porter un jugement cinématographique sur une œuvre qui emprunte beaucoup au théâtre. Premier problème évident : le scénario. Une seule chose quasiment le constitue : les dialogues. Ça parle, ça parle... ça donne des leçons... ça s'éternise (on en vient à regretter le cinéma muet). Non pas que les films doivent toujours être dans l'action, mais au cinéma, il est délicat de faire comme en littérature. Là où en littérature, les personnages peuvent s'engager dans de longues tirades ou monologues sans que l'attention du lecteur n'en soit affectée, le cinéma, art visuel avant toute chose, se doit de faire passer l'image avant le texte. Car les longues, longues phrases et aphorismes littéraires ne siéent guère aux personnages en chair et en os du cinéma. Bien avant le cinéma, les metteurs-en-scène de théâtre l'avaient compris : leur rôle est de rendre vivant le texte en se focalisant par exemple sur la gestuelle et la diction des comédiens. Ainsi, Pialat avant même de réaliser un mauvais film réalise une mauvaise mise en scène théâtrale. L 'intonation des acteurs ? Elle est plate, sur une seule note du début à la fin (même Bresson est plus vivant, réalisateur pourtant très austère). Les acteurs pourraient réciter l'annuaire que notre intérêt pour le film ne changerait pas d'un iota. La gestuelle des acteurs ? Excepté les rares scènes silencieuses, elle est inintéressante voire inexistante. On a l'impression qu'un fossé existe entre Depardieu, Bonnaire et Pialat comme si les trois n'arrivaient pas à s'entendre ni se comprendre. La profusion de dialogues rigidifie l'ensemble du film. On l'a bien vu, entre un ton monocorde et même donneur de leçon ainsi qu'un jeu d'acteurs bien peu physique et attrayant, ''Sous le soleil de Satan'' ne part pas gagnant. Encore moins quand cette surabondance de dialogues prend le pas sur le Cinéma. En se focalisant principalement sur le texte, Pialat en oublie tout simplement de filmer. Ce qu'il veut, c'est un minimum d'effets (de cinéma) pour se concentrer uniquement sur le texte. Dès lors, le film n'offre que des décors minimalistes et ternes (ce qui renforce forcément l'impression de théâtre), une photographie glacée (saisissons ensemble toute l'ironie du titre : le film baigne dans une lumière déprimante et grisâtre alors qu'il y est question de soleil) et surtout une absence de plan esthétique. Juste des champs contre champs, parfois des plans un peu longs et quelques gros plans. Et le pire, c'est que la logique de Pialat est cohérente : pas besoin d'esbroufe et d'effets de manche si le texte prévaut. Mais le texte doit-il prévaloir au point de totalement abandonner les partis-pris de réalisation. Non, dans les grandes adaptations théâtrales (au pif, les adaptations de Shakespeare par Laurence Olivier et Orson Welles), l'action et les intentions de réalisation sont là pour nous faire oublier l'impression de théâtre filmé. Ici, Pialat (et pas à partir d'une pièce de théâtre mais d'un roman) ne fait aucun compromis et appauvrie considérablement le potentiel de son ''film'' (si tenté qu'on puisse le qulifier de film). Pas sûr que l'austérité extrémiste procuré par l'absence de mise en scène soit une bonne solution pour faire accepter le texte au spectateur.
Les bémols du film (scénario, direction d'acteurs et réalisation) ne sont donc pas isolés mais au contraire bien liés entre eux. Le scénario bien trop riche en dialogues complexes entraîne une direction d'acteurs bien trop rigide (les acteurs récitent, on a la sensation qu'ils n'ont rien compris au scénario). Et cette direction d'acteurs entraîne à son tour une congélation statique de la mise en scène. Le problème de ''Sous le soleil de Satan'' est présent dans une certaine tendance du cinéma français à privilégier les dialogues à l'image. Ces films poseurs et prétentieux, qui croient aborder des thématiques universels ont émergé avec plusieurs réalisateurs de la Nouvell Vague (comme Rohmer, dont certains films sont de redoutables somnifères). Il est à la limite possible d'être touché par les dialogues. Mais qu'on ne vienne surtout pas parler de monument de cinéma pour parler de ce film sans aucun invention visuelle (et qu'on invoque surtout le manque de moyen, les films de Bergman par exemple, eux aussi bavards et froids, sont milles fois plus riches esthétiquement que ce ''Sous le soleil de Satan''). Après le visionnage de ce film de Pialat, on comprend sa pique adressée au public cannois. Oui, pour faire un film pareil, il faut en effet détester son public et ne faire des films que pour soi-même et pour une poignée de cinéphiles bobos.