Cette île de loisirs de Cergy-Pontoise est un lieu faisant partie de l'enfance de Guillaume Brac et auquel restent associés encore aujourd’hui des souvenirs très précis pour le metteur en scène. Ce dernier se rappelle :
"On n’habitait pas très loin, mes parents nous y emmenaient de temps en temps avec mes frères et sœurs, c’était une sortie du weekend. Bien des années plus tard, j’ai découvert L’Ami de mon amie d’Eric Rohmer, et j’ai ressenti une émotion très spéciale en retrouvant dans un film important pour moi un décor de ma propre vie. D’un seul coup, ce lieu a pris une sorte d’aura un peu mythique, et ça m’a donné envie d’y retourner. La première fois, c’était un dimanche de septembre, il faisait très beau, il y avait une joie, une vitalité, ces fumées de barbecue sculptées par les rayons du soleil, cette foule mélangée avec toutes ces cultures qui se côtoyaient, j’ai été à la fois fasciné et très touché… Ça a rejoint une réflexion personnelle sur les cloisonnements sociaux. J’ai grandi dans un milieu privilégié dans lequel j’aurais pu rester enfermé, coupé de tout un pan du monde. Je crois que, sans en avoir conscience, je me suis mis à faire des films pour essayer de gommer certaines frontières, chercher une forme de dénominateur commun entre les hommes. Il vient dans ce lieu des gens très différents, qui tous n’ont pas eu, loin s’en faut, la même enfance, les mêmes chances. Mais tous sont réunis par une communauté d’émotions et de sentiments, ceux qu’éveille une journée d’été, une journée de vacances. Durant cette période de l’année, des rencontres entre des mondes différents deviennent possibles, qui ne l’étaient pas le reste de l’année. C’est déjà un peu ce que racontait Un monde sans femmes."
Avec L’Île au trésor, Guillaume Brac signe son deuxième documentaire après un moyen métrage, Le Repos des braves. Son cinéma entretenait déjà un rapport très singulier avec le réel dans le contexte assez cadenassé du tournage d'un film de fiction. Le réalisateur confie à ce sujet :
"Ma démarche en fiction était en effet déjà très empreinte de documentaire : partir d’un lieu et d’acteurs, ou plus exactement de personnes, car j’ai essentiellement filmé des acteurs que je connaissais très bien, avec qui il existait déjà une forme d’intimité qui imprégnait tout le film. Dans Tonnerre ou Un monde sans femmes, il y a aussi des scènes qui sont presque des blocs documentaires, des espèces de trouées dans la fiction, où tout d’un coup un interprète non-professionnel se raconte, offre un fragment de son existence à la caméra. Ce sont des moments qui avaient été particulièrement émouvants pour moi au tournage et qui confirmaient un désir fort de captation du réel. Pour autant, en documentaire, je ne suis pas dans le fantasme d’un réel brut, saisi de façon objective. Je cherche des points de rencontre, des gens qui vont me toucher et souvent provoquer un effet miroir au-delà des différences d’âges et de milieu. L’Ile au trésor raconte évidemment cet endroit de façon très subjective à travers les gens que j’ai eu envie de filmer, puis de garder au montage."
Au printemps 2017, Guillaume Brac a fait de nombreux repérages sur le lieu au centre de son film, durant lesquels il se contentait le plus souvent d’observer et d’écouter. Le cinéaste a aussi rencontré beaucoup d’employés, jeunes et moins jeunes, avec lesquels s’est installée une complicité qui lui a été très précieuse pour le tournage. Brac se souvient de la manière dont les gens qu'il s'apprêtait à filmer ont accueilli sa démarche :
"Avant toute chose, j’ai eu beaucoup de chance, car le directeur de l’île de loisirs s’est avéré être un grand cinéphile, fan de Capra notamment ! Je lui ai montré mes films précédents, qui l’ont touché notamment dans leur rapport au lieu et aux gens. Il a tout de suite compris ce que je venais chercher et m’a fait confiance en me laissant une liberté totale. Durant les repérages, j’avais déjà noué des liens avec un certain nombre d’employés. La plupart ont accepté que je les filme. Quelques-uns se méfiaient, ce qui est normal. Il m’a fallu faire un peu de pédagogie, expliquer que ma démarche n’était pas de l’ordre de l’enquête ou de l’investigation journalistique. Que je ne recherchais pas le grinçant ou le croustillant, mais quelque chose d’à la fois plus simple et plus profond, de l’humain, des fragments de vie, des moments en apparence légers, mais qui peuvent en dire beaucoup."
Le tournage de L'île au trésor a duré deux mois et s'est déroulé presque en continu. Nicolas Anthomé, le producteur, a tout de suite eu l’intuition qu’il serait mieux de tourner le plus longtemps possible. "Que c’est seulement ainsi que je trouverais une méthode, que ma mise en scène s’affinerait, et que m’apparaîtrait progressivement le cœur du film. On était quatre, Martin Rit à l’image, Nicolas Joly au son, Fatima Kaci, une jeune étudiante en cinéma de Paris 8, qui cumulait les casquettes d’assistante mise en scène et de régisseuse, et moi-même. On vivait sur place. Le film n’était pas écrit, j’avais simplement établi des listes de scènes que j’avais envie d’attraper ou d’essayer de provoquer. Des situations que j’avais observées durant mes repérages, comme les intrusions sur la plage, les sauts du pont, les tentatives de drague... Ou que l’on m’avait racontées. Mais beaucoup de séquences et de personnages sont nés de rencontres fortuites, lors de tours à vélo sur l’île de loisirs. Comme Patrick par exemple, le professeur à la retraite. Ou Joelson et son petit frère Michael, rencontrés un soir par Fatima, alors qu’ils étaient venus tout seuls sur l’île. On devait jongler avec tout un tas de contraintes, la météo, les moments d’affluence, les congés des employés et surtout ce renouvellement permanent, avec cet aspect un peu déchirant de tomber sur des gens qu’on ne va plus jamais réussir à revoir. Pour ne pas avoir de regrets, il y a beaucoup de gens qu’on filmait directement, dès la première rencontre", raconte Guillaume Brac.
L'île au trésor s’ouvre sur un véritable abordage et se termine par l’assaut d’une colline qui ne sont pas sans évoquer le travail de l'écrivain écossais Robert Louis Stevenson avec cette idée que tout fait histoire, que tout est aventure et spectaculaire à échelle d’enfant. C’est un film qui parle également beaucoup d'initiation et d’apprentissage sur le contournement de l’interdit. Le titre du long métrage, évidemment emprunté à Stevenson, s’est en effet imposé à Guillaume Brac pour toutes ces raisons. Le metteur en scène développe :
"L’Île au trésor, le livre, est d’ailleurs à la fois une quête, un récit d’apprentissage et l’histoire d’une mutinerie, d’un défi lancé à l’autorité. Ça a été très troublant pour moi, vers le milieu du montage, de constater qu’il y avait des correspondances souterraines entre tous les témoignages, tous les personnages que le film “ acceptait de garder ”. Le rapport à l’enfance, bien sûr, on l’a dit. Mais aussi celui à la liberté, à l’autorité, à l’insoumission, à la transgression, omniprésent jusqu’au récit de Bayo, le veilleur de nuit, qui raconte ce cri de révolte, cette parole libre et insolente qui lui a coûté si cher. Progressivement, presque inconsciemment, ce rapport à la liberté et à la règle est devenu le cœur du film. Au départ, j’avais abordé ce lieu comme un espace de liberté. Mais je me suis vite aperçu que même là, il y avait énormément d’interdits et de règles, que cette base de loisirs était faite à l’image de notre société. Au début du tournage, j’avais d’ailleurs un rapport assez adolescent à cette idée de la règle, qui me poussait naturellement à me placer du côté des fraudeurs, et me mettait un peu en porte-à-faux vis-à-vis de la direction - heureusement très bienveillante ! Ce qui devrait être un lieu de liberté ne l’est pas, mais est-ce qu’il pourrait en être autrement ? Pour autant, il n’est pas interdit d’en rire. Il y a au fond quelque chose d’assez drôle et d’un peu absurde dans ce petit jeu du chat et de la souris auxquels se livrent jour après jour les jeunes et les agents de sécurité - qui faisaient d’ailleurs souvent les mêmes bêtises quelques années auparavant - autour des points stratégiques que sont la plage payante, le pont... C’est pour cela que j’aime particulièrement cette scène où Michael et Joëlson s’arrêtent devant le grand panneau des interdictions et les énumèrent une à une, avec leur innocence d’enfants, les tournant en dérision sans s’en apercevoir, par la même occasion."