Capra est un dieu...celui du triomphe de la joie enfantine sur le cynisme mesquin. Après avoir commencé par son film le plus populaire la Vie est belle, je ne m'attendais pas à retomber si tôt sur un autre chef d’œuvre, mais si. Non seulement Capra sait donner une dimension belle, naïve et spontanée à ses œuvres, mais il sait le faire avec un talent de cinéaste indéniable. Mr Smith au sénat est le parfait exemple pour cette démonstration : le cinéma de Capra est vecteur de morale intelligente, le réalisateur est peintre de tableaux satiriques et complexe de la société, et tout cela sans que la bonne magie de ses œuvres s'échappe en fumée. Mr Smith au sénat peut s'apprécier selon plusieurs grilles de lectures : on peut en tirer des conclusions sur le fonctionnement politique des Etats Unis, sur la nature humaine, sur le patriotisme...tout cela étant lié avec une remarquable cohérence. James Stewart est encore le héros de ce récit de bravoure pure, dans le rôle d'un personnage plus jeune (mentalement) que dans la Vie est belle, et sait jouer la désillusion avec des expressions faciales qui sont décidément bien à lui. Jean Arthur, qui incarne Clarissa Saunder, sa secrétaire, livre la meilleure performance féminine du film, incarnant son personnage de manière nuancée et subtile, réussissant à faire comprendre ses émotions profondes au spectateur sans jamais les surjouer. Claude Rains est juste magistral, le sénateur Joseph Paine apparaît sous ses traits comme un homme astucieux, parti sur de bonnes intentions mais s'étant soumis aux conditions immorales de son métier et étant devenu maître dans l'art de louvoyer entre les écueils. Ce casting quatre étoile contribue largement au succès du film, surtout que sa profondeur transparaît grâce à ses dialogues soignés, débités avec un naturel inouï mais qui cache un long travail d'orfèvre. Les métaphores données (« la jungle urbaine »...) sont riche d'enseignements, les répliques s'enchaînent sans temps morts et la séquence finale constitue un long morceau d'anthologie qui m'a complètement accroché à l'écran jusqu'à son dénouement. Les rares scènes sans paroles alignent des symboles américains sur des marches militaires avec un entrain grisant, on a envie d'aller découvrir le pays et d'être invité à la fête du sentiment patriotique, nous aussi. La musique dynamique, dans la veine d'une comédie musicale, y est pour beaucoup. Autrement cette dernière est absente pendant la grande majorité des scènes, ce qui est surprenant chez Capra. Elle se déclenche lors des crescendo d'action, comme les mini scènes qui dévoilent l'état de la nation pendant l'héroïque discours de Jefferson Smith, contrastant avec habileté l'immobilité envahissante dans cette salle, due à la fatigue, avec l'agitation extérieure grandissante. Identique à la Vie est belle, on finit par douter du dénouement, malgré le positivisme de l'oeuvre. On a peur, que Smith échoue, que la dure réalité de la vie reprenne le dessus. C'est le signe des grands films. Mais lorsque ce qui semble impossible se réalise, dans un contexte qui se révèle crédible une fois examiné dans tout son ensemble (Paine voulait renvoyer Smith pour préserver cet oiseau rare de bonté sauver de la méchanceté du milieu politique), on reste ébahis, gagné par une leçon de vie des plus marquantes et des plus déterminantes.