Claudio a de grandes idées. Il est avocat, d'un certain âge, et confiant dans sa position sociale. Quand il fustige avec de belles paroles bien mûres le cuistre mal léché qui vient de lui chiper sa place de restaurant, sa tirade fait croire à l'essai philosophique : les gens ne sont pas responsables de comment on les a éduqués. Le cuistre, atterré par cette condescendance, se suicide.
Les plans se succèdent et tirent le film d'un genre vers l'autre : soulignant ses moments les plus sensibles avec des slowmotions qui semblent vouloir avertir l'Argentine que son temps est compté, il vire du drame à l'insouciance assez vite pour constituer un millefeuille où l'on attend bêtement que le drame ressurgisse. Là, le film se disperse un peu : il y a quelque chose de mondain dans la manière qu'il a de chercher la variété, quoique l'esthétique est présente. À trop vouloir noyer le poisson, à la fin il se casse.
Pendant ce temps, le pays traverse la crise existentielle qui amènera la dictature. Se gargarisant de soigner les relations avec les hermanos Américains, il est en train de donner une conscience politique à son peuple sans le faire exprès : peut-être le pays n'est-il finalement pas issu de l'exemplarité. Peut-être la civilisation sud-américaine n'atteint-elle pas l'équilibre entre force et sensibilité – pas plus que le film dont les procédés sous lesquels on coupe l'herbe pendouillent parfois un peu puérilement.
Toutefois, le millefeuille a le mérite de s'écrouler et la gangue de superflu dénude enfin l'utile. On rappelle au spectateur que, derrière cette foule de beaux moments qu'il a subie (parfois avec plaisir, parfois moins), se jouait une question qui attend toujours sa réponse : qui est responsable de ce monde et de ce qu'il s'y passe ? La tirade de Claudio au cuistre, aussi juste qu'elle sonnât, n'était-elle pas porteuse du vice hégémonique que la dictature se proposait justement de nettoyer ? Avait-il raison de ne pas se sentir responsable de son suicide pour la raison que son sort était de toute manière scellé par son éducation ?
Naishtat apporte ses réponses à ces questions : pour lui, l'Argentine se sent soudain coupable de s'être sentie supérieure, et par conséquent le besoin de s'avilir par le fascisme, ce rouge de la violence et du sang qui lui serviront à se châtier. Dans un tel monde, plus personne n'est responsable de ses actes, car il s'agit d'une descente aux Enfers collective dont le délit n'est qu'un symptôme (ça, le détective s'en rend compte le premier).
Quant à Claudio, il n'est donc effectivement pas responsable, mais pas du fait que son éducation, sa position et son âge lui conféraient la supériorité sur son prochain : plutôt du fait que, contrairement à ce qu'il croyait, il n'était qu'un rouage dans la machine nationale. La vraie mondanité, c'est la philosophie : trêve de questionnements, place à la simplicité de la dictature. Les idées de Claudio, en fait, étaient bien petites.
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