Mes Jours de gloire est le prolongement naturel de L’Enfance d’un chef, le précédent court-métrage d'Antoine de Bary, dont le réalisateur reprend le thème de l’adulescence. "Les deux films s’inspirent de la même matière. J’ai toujours eu une belle bande de copains, ça regorgeait d’anecdotes, j’ai toujours eu envie de raconter ça. L’arnaque aux pompiers en ouverture, c’est arrivé à un ami... J’ai l’impression que les premiers films condensent souvent des choses qu’on a vécu ou vu et qu’on essaye de sublimer dans un récit cohérent, pour qu’on se sente capable de raconter une histoire et s’autoriser ensuite de plus en plus de fiction. J’ai fait d’Adrien un ex-enfant star parce que moi-même, j’ai été un enfant ultra couvé, aimé, protégé. Quand on grandit en étant le centre du monde, on a envie de s’échapper de ça pour apprendre et comprendre. Adrien est inspiré de ce genre d’ado-enfant, et ça rejoint mes problématiques : qu’est-ce que grandir, devenir un homme ? Que faut-il faire ; quoi, comment, où, pour devenir adulte ?"
Selon le réalisateur, Mes jours de gloire est un film générationnel sur le phénomène de l’adolescence prolongée qui tend à s’amplifier. "Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a une sorte d’injonction à la réussite cool, mais peut-être est-ce lié à Paris et aux quartiers bobos ? Par exemple, je suis toujours tétanisé de voir sur Instagram les gens qui postent des choses sur eux en train d’écrire un scénario par exemple. Je me dis “merde, tout le monde a des projets et moi je ne fous rien”. Ce terme de “projet” est comme une plaie de l’époque. Moi, j’essaye d’écrire une histoire avec angoisse, j’ai peur de ne pas y arriver, alors que tout à l’air facile pour les autres. En même temps, je suis heureux de ma vie, donc tout cela est très paradoxal. Avant, il y avait une sorte de parcours de vie adulte logique, sur rails : un job, un apart, puis une famille... Aujourd’hui, entre 20 et 30 ans, il y a mille choix de vie et quelque part, c’est un peu angoissant. Adrien est complètement dans cette période où on ne sait pas trop quelle direction prendre", confie Antoine de Bary.
La trouvaille du film, c’est le problème d’érection d’Adrien : à la fois un ressort de comédie et une métaphore de tous ses empêchements affectifs, professionnels, existentiels. "Adrien doit jouer De Gaulle et ne parvient pas à avoir la gaule ! Vincent est né au cinéma avec Les Beaux gosses, avec ces scènes mythiques de branlette. On s’est dit qu’on allait reprendre l’élément de comédie triviale qu’est la masturbation pour le rendre dramatique. Ce problème d’érection, c’est comme s’il était un vieillard dans le corps d’un mec de 27 ans. Cela matérialise aussi la question “qu’est-ce que c’est que d’être un homme ?”. Pendant longtemps, l’image de l’homme a été liée à une idée de puissance, de force, de virilité… Je me suis toujours senti éloigné de cette image. J’étais grassouillet, j’avais les cheveux longs, c’était impossible de rouler les mécaniques pour draguer, les filles ne me regardaient pas... Bref, toute cette expérience me permet aujourd’hui de déconstruire la virilité. Ce besoin qu’ont les mâles alpha de prouver leur autorité, je le trouve ridicule, désuet, malaisant", explique Antoine de Bary.
Adrien à qui on propose de jouer De Gaulle, c’est une idée étrange. Antoine de Bary a-t-il introduit cette figure patriarcale absolue pour opérer un contraste avec la non virilité d’Adrien ? "Un jour, je suis tombé sur une photo de De Gaulle jeune, et j’ai eu un flash, j’y ai vu Vincent. L’idée, c’était que le rôle de De Gaulle est un costume trop grand à porter pour Adrien comme pour Vincent. Évidemment, un tel rôle contraste avec le quotidien d’Adrien et avec ce qu’il est. Mais en fait, je me suis intéressé à la vie de De Gaulle et c’est quelqu’un qui est passé à deux doigts de la louper. Il a été fait prisonnier pendant la guerre de 14-18, son mariage avec Yvonne était arrangé, il était trop grand, maladroit, moyen en tout... En tous cas, j’aime Adrien parce qu’il a un côté marginal dans le fait d’avoir été enfant star puis de ne pas avoir eu assez les crocs pour aller plus loin."
Dans Mes jours de gloire, une scène montre Adrien marchant dans la rue costumé en De Gaulle. "Il ressemble à Chaplin mais la scène est autant mélancolique voire malaisante que drôle. C’est une scène quasi-mentale, qui montre l’enfermement le plus total dans un déguisement et dans une névrose. Être comédien, c’est se jeter en pâture à un réalisateur, c’est une situation de fragilité mélangée à du narcissisme. Cette scène est la quintessence de cette condition de comédien : Vincent Lacoste la joue à peine, il était vraiment paniqué d’être lâché seul, déguisé, dans la rue, au milieu des vrais passants. Nous, on était loin, dans un coin de rue, on filmait en longue focale. Ça a été un moment du tournage extrêmement tendu, mais qui représente la catharsis de la condition d’acteur. Vincent y est magique, on voit sa fragilité, c’est Chaplin, ou Keaton", analyse Antoine de Bary.
Au-delà de la mère d’Adrien (Emmanuelle Devos) qui est psy, comme la propre mère du metteur en scène Antoine de Bary, le film est très freudien puisqu’il raconte un blocage, puis un déblocage par la vertu de la parole. "Je me sens plus crédible sur le terrain psy que sur le terrain politique. Ce que j’adore chez les psys, dont ma mère, c’est qu’ils sont souvent les personnes les plus mélancoliques. Ils ont une sensibilité aigüe par rapport au malheur et fondent leur métier là-dessus pour accompagner les autres. Pour moi, c’est aussi une façon de régler certaines choses. Le film, c’est une sublimation romanesque de ces trois années où j’ai eu peur de rester un témoin de la vie des autres plutôt qu’un acteur de ma propre vie. La psychanalyse a joué un rôle central, elle m’a permis de passer à l’action."
Le film repose énormément sur le talent des comédiens. Pour Antoine de Bary, Vincent Lacoste était une évidence. "C’était pour moi inconcevable que ce soit quelqu’un d’autre. Pour une raison romantique, parce qu’il est l’un de mes meilleurs amis. Faire ce film avec lui, Elias Belkeddar (coscénariste et producteur), Mourad Belkeddar (producteur), c’était une sensation magnifique, je les aime, c’est comme ma famille. Vincent est un des rares acteurs qui peut passer facilement de la comédie au drame. Il n’en fait jamais des caisses, il est d’un naturel confondant. Il est impressionnant de précision, notamment dans les détails. Par un geste, un regard, il emporte la scène."
Christophe Lambert incarne le père de Vincent Lacoste, un choix très inattendu. "Quand on passe en revue les acteurs d’une soixantaine d’années, on tombe sur des choix qui font très cinéma français classique, ou alors cinéma d’auteur exigeant. On cherchait un acteur qui fasse contraste avec Emmanuelle et qui raconte quelque chose immédiatement. Christophe Lambert est apparu comme une évidence. Il était un mythe dans les années 80 : Tarzan, le cinéma américain, les lunettes fumées... Plus qu’un acteur, il est un personnage avec une histoire, un baroudeur. J’ai vu en lui un fantôme, l’incarnation d’une virilité bafouée, le type qui finit seul, alcoolo dans sa chambre de bonne, bref, le personnage que j’envisageais", confie Antoine de Bary.
Après avoir été révélée dans Ava et Le Grand bain, la jeune Noée Abita continue son chemin. "Quand je l’ai rencontrée, elle me répondait à peine, comme détachée, et j’ai adoré ça. Elle avait le même flegme que Vincent Lacoste, cette impression qu’ils n’en ont rien à foutre alors que c’est une protection : ce sont des anxieux, des timides, des enfants qui ont grandi trop vite et possèdent une sorte de sur-maturité qui les rend différents des autres. Noée a ce truc magique, singulier, et dès qu’on la filme, elle dégage un naturel qui semble couler de source", déclare Antoine de Bary.
La musique joue un rôle très important dans Mes jours de gloire. "C’est un vieux copain, Ulysse Cottin, qui a composé la musique du film. Je fantasmais un vrai score musical et j’ai eu la chance que mes producteurs accompagnent ce voeu. Au départ, je voulais de la saudade, avec cette mélancolie qui rejoignait la tonalité du film. La musique devait raconter le romantisme d’Adrien, sa musique intérieure. On a aussi choisi une chanson de Blossom Dearie, cette chanteuse des années 60 qui avait été découverte par Michel Legrand. Enfin, il y a une chanson de Juliette Armanet et une autre de Mister Soap & The Smiling Tomatoes, un groupe d’amis à moi dont j’avais réalisé le premier clip. Chez Juliette, j’aime aussi le côté désuet, tant dans ses thèmes que dans la manière dont elle les interprète : une Véronique Sanson moderne, légère et nostalgique. Ce film m’a permis de rencontrer des gens dont je me sens désormais très proche, c’était une expérience de vie. Il raconte la difficulté de passer à l’âge adulte et moi aussi, il m’a aidé à grandir", explique Antoine de Bary.