Le réalisateur Dong Yue a été diplômé de l'Académie du film de Pékin en 2006. Il s'est ensuite spécialisé en réalisation. "J'ai tourné quelques courts métrages à l'école quand j'étais en troisième cycle. Puis, mon diplôme en poche, j'ai été chef-opérateur sur quelques longs métrages de fiction sans grand intérêt. En 2010, j'ai abandonné le métier de directeur de la photo parce que j'ai fini par me rendre compte que je n'arrivais pas à m'exprimer suffisamment. J'avais besoin d'écrire une histoire pour tenter de percer à jour la vérité cachée des choses : c'est ce qui m'intéressait."
En 2013, le cinéaste Dong Yue est tombé sur un reportage sur Internet, mêlant textes et images, qui parlait d'une petite ville, au nord-ouest de la Chine, qui avait été laissée à l'abandon : ses ressources énergétiques étaient épuisées, ses usines étaient fermées et la plupart des habitants étaient partis. "J'ai été frappé par la tristesse qui se dégageait de ces images où on ne voyait plus que des personnes âgées et des chiens traînant dans les rues désertes et des bâtiments menaçant de s'écrouler. On avait l'impression que cette région en pleine déliquescence était totalement oubliée et mise à l'écart par la Chine. Ébranlé, j'ai eu envie d'écrire une histoire témoignant de l'atmosphère qui régnait en Chine avant les réformes majeures de la fin des années 90. À partir de là, j'ai fait pas mal de recherches sur la Chine de cette époque. Puis, je me suis entretenu avec bon nombre d'ouvriers, d'agents de sécurité et de policiers qui avaient connu cette époque. Je me suis aussi inspiré d'affaires criminelles, de romans et de films", confie le réalisateur.
Dong Yue a choisi de situer l'action d'Une pluie sans fin en 1997. Il s'en explique : "À mon avis, l'année 1997 a marqué un tournant décisif dans l'histoire sociale chinoise des années 90. Non seulement Hong Kong a été restitué à la Chine, ce qui a eu une influence profonde sur la société chinoise, mais des barrières entre les classes sociales se sont érigées avec force. Pour la Chine communiste, la décennie 90 commence en 1989 et s'achève en 1997. Car après 1997, la société chinoise change d'époque : les grandes entreprises d'État ont subi des réformes économiques et plusieurs usines d'État, dont la productivité était faible, ont été fermées. De nombreux ouvriers qui pensaient que leur outil de travail leur appartenait ont dû quitter ces usines étatiques où ils avaient travaillé toute leur vie. Il leur a fallu accepter l'idée qu'ils étaient dès lors abandonnés par la société et par l'époque."
Une Pluie sans fin a été tourné dans la ville de Hengyang, dans la province de Hunan, qui a été autrefois un site industriel majeur du sud de la Chine. Mais de nombreuses usines d'État y ont fermé leurs portes à la fin des années 90.
Il ne cesse de pleuvoir tout au long du film et le ciel est sombre... "Les gens qui vivent sous la pluie n'ont pas l'occasion de ressentir la chaleur du soleil. Cette atmosphère humide et pluvieuse pèse négativement sur leur moral et s'avère propice aux crimes et aux actes malveillants. Ce climat correspond également à mon impression des transformations sociales et économiques qui se sont produites en Chine à la fin des années 90. Les gens n'arrivaient pas à apaiser leurs angoisses, ils n'avaient pas d'espoir, et ils devaient donc se contenter de réprimer leurs émotions et d'accepter leur sort", analyse Dong Yue. La palette chromatique est dominée par des teintes de gris, de marron et de noir. "Ce paysage hérissé d'usines est monochrome, autrement dit sans vie. Les régions industrielles sont comme des monstres : l'individu s'y sent impuissant et réduit à néant. D'ailleurs, ces usines sont semblables à des labyrinthes dont on ne trouve jamais la sortie. Les ouvriers étaient manipulés, comme de vulgaires fétus de paille. J'ai donc désaturé les couleurs pour me rapprocher de ma vision de la Chine des années 90", ajoute le cinéaste.
Dong Yue a été très profondément marqué par Conversation secrète de Francis Ford Coppola, qui date de 1974, et Sueurs Froides d'Hitchcock, qui date de 1958. "Ces deux films, qui explorent la question du deuil et la profondeur spirituelle de l'être humain, m'ont beaucoup servi pour dépeindre mes propres personnages", précise le cinéaste.
La partition a été composée par Ding Ke, jeune musicien chinois très doué qui vit à Paris depuis des années. "Je ne l'ai pas encore rencontré et nous n'avons communiqué qu'à travers les réseaux sociaux. Il a collaboré avec des musiciens français et l'enregistrement et le mixage ont été réalisés à Paris. Je suis très heureux que des Chinois et des Français aient collaboré pour nous offrir cette magnifique musique", confie Dong Yue.